Près de 500 Subsahariens de différentes nationalités et confessions religieuses demeurent dans l'expectative sur les berges de la rivière Jorgi à Maghnia, agglomération algérienne située sur la frontière avec le Maroc. Reportage réalisé par Chahreddine Berriah Les cahutes bâties à base de branchages, de tôle et de plastique sont quasiment inoccupées ! Des chaussures usées, des bidons éventrés et des ustensiles jonchent les allées poussiéreuses et défoncées du no man's land ! C'est comme si une calamité destructrice était passée par là. Inexorablement. La rivière respire la méfiance, la suspicion et la colère. Le ciel est maussade. Les communautés, naguère bien organisées comme de véritables Etats, mais sans emblème, ni hymne, ne sont plus que des groupuscules désorientés, amers. Max, le chairman des Camerounais, n'est plus là pour prendre en charge ses sujets. «Lui aussi, sans crier gare, avait pris le départ pour participer à l'assaut de l'enclave espagnole. Y avait-il réussi ? Personne ne le sait», témoigne, éplorée, la jambe fracassée, l'infortunée Marie ou Meriem comme l'appellent les autochtones. «Non, je n'y étais pas, moi blessée comme je suis, je devais attendre encore un peu avant que les événements prennent une autre tournure», tient-elle à préciser. Le drame de Melilla remonte à plus d'une année. Aujourd'hui, ils sont près de cinq cents Africains clandestins au bord de la rivière à sec, l'Oued Jorgi. Longtemps bercés par le rêve d'aller humer l'air ibérique, Maria et ses semblables, frustrés et en même temps révoltés par tout ce qui s'était passé à Melilla et sur le territoire marocain, espèrent une meilleure issue à leur aventure, une nouvelle destinée. «C'est vrai, maintenant qu'on sait que l'Occident est déterminé à nous chasser de ses terres, le mieux serait de rentrer chez soi. Mais, bizarrement, ce serait aussi une sorte d'injustice de refaire le chemin en sens inverse, alors qu'on était seulement à quelques brassées de la terre promise». Le responsable d'une ONG espagnole, basée à Ceuta, nous a appelés pour nous informer que près d'un millier de Subsahariens avaient été effectivement parqués à Oujda, dans la région orientale du royaume, et que ce nombre risquait d'être illégalement refoulé de nuit vers l'Algérie. Cette pratique barbare était monnaie courante par le passé. Daniel, le Malien, nous confirmera l'information, mais croit savoir que ses compatriotes, devant les réactions des gouvernements européens, auraient été expatriés par la voie aérienne, à partir de l'aéroport d'Angad Oujda. Abdullay, lui, faisait partie du contingent de Melilla. Il avait rebroussé chemin à Nador, dans le Rif marocain à quelques mètres des lieux de la bataille. «J'avais, dit-il, un pressentiment. J'ai dû, la mort dans l'âme, prendre la décision de retourner au ghetto de Maghnia. Je ne le regrette pas aujourd'hui. Ici, je suis au moins en sécurité, en attendant ce que nous réserve le destin.» Partir, pour ces infrahumains, de l'oued, n'a plus le même sens, ni la même motivation. Ils sont plus conscients de la situation actuelle. «Il ne faut plus se leurrer, il est clair qu'aujourd'hui les portes de l'Europe nous sont hermétiquement fermées», confesse David, le visage émacié, le cœur serré. Dans la vallée, un ruisselet charrie un fatras de déchets. Marie le suit des yeux. «Cela vient du Maroc, comme tu sais. Je préfère voir ces déchets qu'un cadavre humain, mais bon, arrêtons de faire de mauvais présages !» Plus d'une année après le scandale de Melilla où deux Subsahariens étaient tués par les balles de soldats, les clandestins reconnaissent que les autorités algériennes n'avaient pas enclenché de raid sur le ghetto ou pourchassé ses occupants. «On s'était mis dans la tête que tous les gouvernements de la planète s'étaient mis d'accord pour nous attraper, nous tabasser et puis nous jeter dans le désert, mais non, nous constations au fil des jours que l'Algérie s'était comportée et continue de le faire humainement avec nous, nous les apatrides !» Même si les gendarmes de la ville opèrent épisodiquement et de nuit des descentes dans le ghetto pour disperser les occupants. « Pour l'instant, nous n'avons pas d'autres destinations où nous réfugier. Quand les gendarmes nous « rendent visite » nous changeons d'endroits, mais c'est toujours aux alentours de la rivière. C'est comme si on jouait au chat et à la souris. Un jeu dramatique » opine Abdullay. Et de renchérir : « Mais, on ne doit pas oublier les habitants de la ville qui, dans un élan d'hospitalité, nourrissent les pauvres humains que nous sommes» A cet instant, Marie balbutie, le moral sapé «Si au moins je savais nager… Mourir dans la mer ou sur le bord d'une rivière c'est toujours partir. La différence, c'est le risque d'être mise en bière mouillée ou à sec…». La rivière Jorgi regarde le ciel, le pont qui la surplombe : les nouvelles ne pourraient venir que de là…