La présence ponctuelle de quelque 1 000 immigrés subsahariens clandestins venus d'une quinzaine de pays africains, agglutinés sur les berges de l'oued Jorgy, ne cesse d'incommoder aussi bien les responsables locaux que la population. Celle-ci, qui ne semble pas indifférente aux conditions de vie difficiles de ces candidats à l'exil, fait montre de générosité et de bienfaisance envers eux et les assiste pour traverser cette rude épreuve. C'est dans un campement de fortune composé de bicoques et de baraques en carton couvertes de plastique, qui n'est pas pour présenter une résistance au froid et à la chaleur, que ces clandestins se relaient depuis les années 1990. “Même si les conditions ne sont pas des plus idéales, le séjour dans ce camp est de loin plus confortable qu'au Maroc ou à Tamanrasset, où nous nous sommes réfugiés, par crainte de représailles, dans des grottes”, dira Alain Roméo, président de la communauté camerounaise, pour lequel les camps sont actuellement plus organisés pour éviter les erreurs commises par leurs prédécesseurs et qui sont à l'origine d'une méfiance de la population par rapport au clandestin. “Pour éviter les éventuels différends qui émanaient de la différence de culture et de religion et qui étaient par le passé à l'origine d'échauffourées, chaque communauté a son propre camp et ses propres règles. Il y a aussi bien l'église, la mosquée que le restaurant et même la prison pour isoler ceux qui portent atteinte à notre quiétude ou à celle des citoyens de la ville”, explique notre interlocuteur. Et d'ajouter : “avec le retour massif de nos compatriotes qui ont été délogés du camp de Gouro Gouro dans la région de Nador, et la présence massive de Marocains clandestins, le travail se fait de plus en plus rare notamment dans le bâtiment.” Si la population maghnaouie a toujours fait preuve d'actions humanitaires envers les immigrés clandestins, les institutions publiques ne sont pas en reste dans cet élan en offrant leurs services et leur soutien aux plus démunis et aux malades. Ainsi, les malades sont toujours pris en charge par l'hôpital de la ville mais aussi les accouchements. Une Béninoise de 25 ans, qui y a accouché, a même donné en guise de reconnaissance le prénom de Maghnia à son bébé. “L'expérience de nos prédécesseurs a montré que la prise en charge humanitaire est mieux assumée en Algérie que nulle part ailleurs et plus assurée à Maghnia que dans d'autres régions du pays, telle Tamanrasset, où les conditions sont horribles”, témoigne cette heureuse maman. Vouloir forcer le destin pour ces clandestins n'est pas sans entraves ni risques majeurs. Ils sont nombreux ceux qui ont payé les services de passeurs (2 000 euros) sans pour autant en avoir pour leur argent. Après avoir été arrêtés par les Marocains, ils sont carrément chassés de nuit de l'autre côté de la frontière. Pire, à juger du cas de ce Malien qui a été jeté à la frontière inerte. “J'étais avec deux de mes copains en train de siroter un thé quand un corps a été jeté d'une voiture marocaine à quelque 300 m de nous. Celle-ci a aussitôt disparu. Nous avons couru et nous avons découvert le corps d'un clandestin africain inerte. Nous l'avons transporté jusqu'à la maison familiale, à bord d'une brouette, où nous lui avons administré des soins primaires avant de le transporter à l'hôpital”, témoigne ce frontalier, qui assure avoir à maintes reprises vu des clandestins refoulés d'une manière sauvage. La vie dans les camps de fortune n'est pas sans répercussion sur leur santé. Les séquelles sont apparentes chez ces infortunés à la recherche d'un meilleur cadre de vie : des dizaines d'entre eux sont devenus de réelles loques humaines sous des haillons fixant le vide sans trop d'espoir de sortir vivants de leur aventure. À la question de savoir s'il y a eu des morts causés par la chaleur ou le froid, les réponses sont embarrassées. Ces immigrés préfèrent dans leur majorité fournir des réponses volontairement évasives, ce qui naturellement laisse supposer de funestes pratiques. “Je ne me suis jamais senti aussi prêt de la mort que durant la dernière vague de froid. J'ai eu de la fièvre et une inflammation aiguë des voies respiratoires. J'ai grelotté durant deux jours et deux nuits. Heureusement, j'étais pris en charge par deux compatriotes qui ont fait preuve à mon égard de beaucoup d'attention et n'ont ménagé aucun effort pour me nourrir et me soigner”, raconte cet Ivoirien, qui avoue par ailleurs ignorer le sort d'autres clandestins qui n'ont pas eu la chance d'être soutenus. Pour se nourrir, les clandestins font dans la cueillette de la pomme de terre et de la pastèque d'une abondance exceptionnelle cette saison dans les daïras de Maghnia et Beni Boussaïd, du moins pour ceux qui aspirent à gagner leur casse-croûte à la sueur de leur front et qui sont visiblement de plus en plus nombreux dans les champs et ailleurs à travailler au noir. La fixation de ces clandestins du sud du Sahel (qui a l'air de faire boule de neige, car elle favorisant le flux qui s'amplifie ainsi exponentiellement, notamment pendant l'été où les conditions climatiques sont plus clémentes) ne semble pas préoccuper outre mesure les services de sécurité encore moins le phénomène de l'emploi de la main-d'œuvre africaine. Ignorant toute réglementation, les propriétaires des champs embauchent pour la cueillette une main-d'œuvre africaine payée souvent au même prix que la nationale, à savoir 500 DA la journée (6h à 14h). Les clandestins vivent l'éternel recommencement. Après avoir goûté à l'amère aventure sur le sol marocain, les clandestins se terrent dans des caves dont l'un est nommé bunker de “Zeddam Hocine” aux environs de Sebta et tentent de périlleuses traversées à bord de zodiaques de 12 m transportant 20 personnes. Nombreux sont ceux qui, découragés, rebroussent chemin pour se retrouver une fois de plus au camp à Maghnia pour reprendre “des forces” pour une nouvelle virée. “j'ai quitté le Liberia, il y a deux années, et mes nombreuses tentatives ont été infructueuses. Maintenant, je ne sais pas où aller et je ne peux retourner chez moi à cause de la situation qui prévaut dans mon pays,” nous dira, hagard, un Libérien. Quant à cet autre Congolais, qui a perdu ses parents, ses sœurs et ses frères, démuni de tout, il se dit prêt à tout pour percer après avoir échoué dans la première tentative durant laquelle il a passé un mois et demi pour atteindre Sebta. En attendant, l'entraide entre les clandestins dans le camp de Maghnia assure la survie ; la loi du silence est de rigueur interdisant toute introduction de personne étrangère dans le camp, rendant ainsi difficile toute tentative de dévoiler tout le mystère d'une vie en deçà du commun. MED AMMAMI