- Que pouvez-vous dire sur la situation en Syrie en ce moment ? Le régime poursuit son lent effondrement. Il ne parvient pas à reconquérir le terrain perdu aux insurgés et sa base populaire est presque réduite à néant, en dehors de la communauté alaouite. Toutefois, il conserve suffisamment d'unités militaires loyales et bien équipées pour prolonger le conflit face à une opposition qui demeure très mal armée, en raison de la faiblesse des soutiens extérieurs. Les ingrédients sont donc réunis pour la poursuite d'un conflit long et sanglant.
- Y a-t-il une guerre des communautés ?
A certains égards, la situation s'apparente déjà à un conflit confessionnel, dans la mesure où l'armée du régime est structurée et se comporte comme une milice confessionnelle alaouite, affrontant une opposition essentiellement sunnite (comme l'est l'écrasante majorité de la population).
- Les minorités syriennes, notamment les Syriaques ou Assyriens, les Druzes, ainsi que d'autres, seront-elles en danger si le régime d'Al Assad s'écroulait ?
Pas nécessairement. Il pourrait y avoir des représailles contre les alaouites en raison de leur rôle dominant au sein de l'appareil répressif, mais rien ne permet pour l'instant de penser que les Druzes ou les Ismaéliens seraient particulièrement menacés. Ceci dit, il est toujours difficile de prédire ce qui peut se passer si le pays, ou une partie, du pays sombrait dans le chaos après la chute du régime. Par ailleurs, les minorités vivant dans les régions à majorité druze (Assyriens, Turkmènes) ne craignent pas tant le futur régime syrien que la montée en puissance des partis nationalistes kurdes, dont certains ne sont pas réputés pour leur tolérance à l'égard des autres groupes ethniques.
- Les mouvements islamistes sont-ils populaires en Syrie ? Le Qatar et l'Arabie Saoudite jouent-ils véritablement un rôle, d'après vous, dans ce conflit ?
L'islamisme en tant qu'idéologie a certainement une influence en Syrie, même si elle est difficile à évaluer. Cette influence va au-delà des mouvements clairement identifiables comme islamistes (Frères musulmans, Parti de la libération islamique, etc.). Le Qatar et l'Arabie Saoudite soutiennent l'opposition (islamiste et laïque), mais dans une mesure assez limitée. En atteste le sous-équipement dont continuent de souffrir les insurgés, qui manquent en particulier de missiles antichars et antiaériens sophistiqués.
- Qu'en est-il des jihadistes qui activent en Syrie, s'agit-il de mercenaires, de trafiquants, d'islamistes convaincus ou de terroristes d'Al Qaîda ?
Il ne s'agit ni de mercenaires ni de trafiquants, mais de militants proches ou membres d'Al Qaîda, qui voient dans la Syrie un endroit idéal pour mener le djihad. Ils constituent pour l'instant une composante très minoritaire de l'insurrection, très largement dominée par des combattants syriens qui peuvent être de sensibilité islamiste, mais inscrivent leur lutte dans le cadre national syrien plutôt que dans un djihad global.
- Une intervention étrangère est-elle à écarter ? Une résolution politique du conflit est-elle encore possible ?
Une résolution politique ne me paraît plus possible parce que nous sommes dans un jeu à somme nulle entre le régime et l'opposition : Al Assad sait que toute ouverture démocratique signerait la fin de son règne et l'opposition ne veut pas discuter avec un pouvoir responsable de tels crimes. Je ne crois pas non plus à une intervention étrangère, parce que les Etats-Unis ne sont pas désireux de s'engager en Syrie. Le conflit va donc probablement durer encore plusieurs mois.