En nous rapprochant d'eux, et vus de près, les enfants ressemblaient à tous les chérubins. Ce n'est qu'en les regardant arpenter un passage qu'on s'aperçut d'un détail : les enfants marchaient en file indienne dans un silence imposant. « C'est un réflexe acquis dans les maquis », explique un militaire. Ces enfants sont nés dans les maquis entre les monts d'El Alia à Skikda et l'Edough à Annaba. Ils y ont été élevés. Le plus âgé a juste 5 ans. Ses yeux clairs contrastent avec une chevelure toute rouquine et son innocence juvénile ne l'empêche pas pour autant d'appréhender notre manière de l'approcher. Il préfère plutôt empoigner ses frères pour rejoindre leur mère sans prononcer un seul mot. Cette dernière, et malgré des signes évidents de fatigue, accepte de nous parler. Elle raconte sa vie en évitant à chaque fois de laisser apparaître ses mains gercées. Elle dégage une étrange impression où se mêlent anxiété et apaisement. « Je vivais aux maquis depuis plus de 8 ans. J'étais l'épouse de Abou Mouâd, l'émir de la zone qui a été tué dernièrement à Oum Toub (sud-ouest de la wilaya de Skikda -ndlr). Il m'a laissé six enfants. Le plus âgé a 8 ans, il est resté au maquis. » On lui pose une question : « L'a-t-on retenu pour faire pression sur vous ? » Tranquillement elle répond : « Non, il est resté avec son oncle. » Une autre question : « Avez-vous quitté le maquis sans difficulté ? » D'un air toujours calme, elle répond : « Oui, personne ne m'en a empêchée. » Pourquoi l'avez-vous fait aujourd'hui et pas avant ? Réponse après une brève hésitation : « Je devais penser à mes enfants, maintenant que leur père est mort, en plus la situation dans les maquis s'est beaucoup détériorée cette dernière année. J'ai profité des contacts qui ont été entrepris voilà plus d'un mois et j'ai manifesté le désir de descendre. Hier (jeudi) à 2h j'ai réuni cinq de mes enfants et je me suis rendue en compagnie d'une autre veuve. » L'autre veuve était assise juste à côté. Elle a trois enfants. L'un d'eux a été transféré en urgence vers un service hospitalier. Paraissant beaucoup moins convaincue que la première, elle était surtout occupée à parler avec sa mère, une vieille femme qui est venue de Constantine pour l'accueillir. Suspicion dans les maquis ? La première femme raconte qu'elle vivait dans un maquis dans la wilaya de Annaba. « Je ne peux pas vous nommer l'endroit exact, car on refuse de communiquer ces choses aux femmes. Tout ce que je sais c'est qu'on était dans la wilaya de Annaba. On ignorait même ce qui se passait ailleurs. » Elles témoignent, toutes deux, que beaucoup de familles vivent dans les maquis, en affirmant : « Il reste encore beaucoup de femmes et d'enfants dans les monts. Avant, nous ne manquions de rien et nos enfants vivaient convenablement, mais le dernier forcing opéré par les forces de sécurité dans la région de l'Edough nous a grandement perturbés. On n'arrivait plus à se nourrir. » L'état de santé des enfants en témoigne amplement. L'un d'eux n'arrivait plus à se redresser. Un élément des services de sécurité décide d'appeler un médecin. « Je crois qu'on va l'emmener aux urgences. » Une des femmes pleure. Les autres enfants regardent et ne disent rien. En tentant de dialoguer de nouveau, la femme de Abou Mouâd rétorque passivement : « Je veux bien parler, mais je suis dans un état de grande fatigue. » En lui demandant juste de nous apprendre si le reste des groupuscules encore présents dans les maquis avaient l'intention de se rendre, elle observe un grand moment de silence puis lâche : « Je ne peux pas répondre à leur place. Je vous disais que les femmes restaient isolées et loin de toute information. Je ne peux rien avancer. » La suspicion aurait-elle gagné les maquis ? On n'en saura rien, bien que nous apprenions plus tard que pas moins de dix familles de terroristes de la région est de Skikda étaient en contact permanent avec les autorités militaires de la région. La dernière reddition d'un émir de la zone VII dans l'organigramme du GSPC, qui inclut les maquis des wilayas de Skikda et de Annaba, présagerait, à en croire certaines sources, une reddition de quelques autres éléments. Et si pour le GSPC les contacts avec les familles n'est plus un secret, les terroristes du groupe salafiste libre (GSL) restent à l'heure actuelle les plus éradicateurs de la nébuleuse encore en activité dans le massif de Collo.