Français d'Algérie comme il aime à le rappeler, Alexandre Arcady revient au cinéma -et en Algérie- avec un nouveau film, Ce que le jour doit à la nuit, adaptation du dernier roman de Yasmina Khadra. Il sera présenté ce vendredi à Alger. El Watan Week-end a pu le voir en avant-première en France, suivre son producteur en Algérie et interviewer le cinéaste. 7 septembre 2012. Alger by night. Deux films sont projetés. L'un vient de France et parle de l'Algérie des années 50 (Ce que le jour doit à la nuit, Alexandre Arcady). L'autre est une production 100% nationale et parle d'un ailleurs qui susciterait fantasme et désillusion chez deux jeunes Algérois (Le Hublot, Anis Djaâd). Point commun entourant ces deux films, un homme, la quarantaine affichée, le verbe (im)pertinent et la gestuelle (in)supportable. Blaze : Bachir Derrais. Métier : producteur, signe particulier : cinéphile. Quotidien : avec sa société de production, créée en 1998, il redonne une confiance (donc une légitimité) à un groupe de jeunes désireux de faire du cinéma. Lui-même autodidacte, pénétrant de force dans le milieu début 90 et apprenant sur le tas. Vingt ans plus tard, tout le monde le connaît, réseau tellement développé qu'il peut régler les problèmes techniques les plus improbables. Vingt ans après, beaucoup de projets passés (le dernier Arcady, Le Soleil assassiné d'Abdelkrim Bahloul, Inch'allah dimanche de Yamina Benguigui) et futurs (Larbi Ben M'hidi, Matoub Lounès, Zighout Youcef et le dernier en date, Il ne fera pas long feu, adaptation du livre de Hamid Grine et qui sera réalisé par Dahmane Ouzid), entre les deux, il vocifère, écrit partout et beaucoup (réseaux sociaux, lettres, manuscrits), se déplace tel L'Homme pressé de Paul Morand, et monte trois, quatre voire cinq films en même temps. Plusieurs équipes se relaient dans sa maison cinéma, des anciens techniciens, de nouveaux visages, des stagiaires, quelques réalisateurs illustres ou débutants et un capharnaüm qui donne le la. Fantômes Musique bruyante certes, mais qui envahit intelligemment des départements comme au bon vieux temps des studios hollywoodiens. L'industrie du cinéma algérien, inexistante, revit dans ces locaux où l'on sent que le cinéma reprend son droit d'existence et de création. Retour vers le passé. Juste quelque temps. Période du Ramadhan, deuxième semaine et déjà on repère des cernes omniprésentes sur les visages algérois. Qu'il vente, pleuve ou absence d'électricité, le cinéma doit continuer. Cela pourrait être l'adage des Films de la Source, dont les bureaux situés à une rue perpendiculaire au quartier du Sacré-Cœur offrent une vue panoramique sur Alger la grise. Cela pourrait être aussi le compagnon de route d'Amar Sifodil, jeune réalisateur, trentaine nonchalante et stature imposante, qui fixe imperturbable l'enregistreur, tout juste déposé sur la table du grand salon. Avant d'y arriver dans ce salon, il faut traverser un long couloir sans fond où des affiches ornent un mur aussi blanc que disparate. Des fantômes s'en disputent le magot, pouvant rappeler les films d'Antonioni où l'incommunicabilité devenait le créneau des cœurs perdus. Avant le grand salon, il faut baisser la tête et avancer, sous le regard de Matoub Lounes et de quelques publicités d'antan, où Cinzano, Selecto et le Casino Municipal d'Alger sonnaient l'âge d'or du colonialisme français. C'est beau et ça suinte le passé. Passons maintenant au présent. Il a plusieurs visages. D'abord Amar. Des films auto-produits, essentiellement des courts. Puis une histoire qui l'accompagne durant de longues années. Un polar urbain, quelque chose d'indescriptible, de nouveau et des tonalités meurtrières récurrentes. Derrais ne s'est pas trompé et très vite lui propose de faire le film. Contrat signé, mains serrées et équipe de tournage sur le qui-vive. Le budget ne sera pas dépassé, ni la durée de tournage. Montage actuellement en cours pour une distribution prévue fin 2012. Jours de cendre en est le titre et le film d'Amar sera référencé comme étant le 1er long-métrage finalisé provenant de la «nouvelle génération de cinéastes algériens». Derrais en est fier. On peut le comprendre. On guette… Second visage, fatigué, respiration difficile et regard tout aussi pénétrant. Anis Djaâd est fatigué. Le tournage de son court-métrage, Le Hublot, fut éprouvant, complexe mais jubilatoire. «Je ne remercierai jamais assez l'équipe», aime à rappeler Djaâd, tout comme le faisait, dix minutes auparavant, Amar Sifodil. Des gens engagés par un Derrais aux aguets (on compte environ une soixantaine de techniciens et six employés permanents), qui réussit à créer une atmosphère familiale tout en imposant subtilement respect et rigueur. Pleine nuit «Il faut d'abord faire ses preuves, sinon ça ne passe pas», rajoute Sifodil, tandis que Djaâd conclut : «Oui, c'est une maison de cinéma, oui l'équipe est magnifique, eh oui, le producteur y est pour quelque chose, mais il faut aussi aimer et respecter le cinéma». Propos simpliste ? Peut-être mais dans un pays où le cinéma est devenu une peau de chagrin, ces propos sonnent comme un sacerdoce. On évoquait l'équipe. Survient Najib Oulebsir. Visage familier car entr'aperçu dans Normal, de Merzak Allouache. Il y jouait un réalisateur. Dans la vie, il aimerait faire des films. Aujourd'hui, il joue et surtout surmonte les problèmes des cinéastes. On appelle ça : premier assistant-réalisateur. Son flow est direct et rapide : «Les 6 jours de tournage du Hublot ressemblaient à trois mois», use et abuse d'anecdotes liées aux deux tournages qu'il vient d'effectuer et aime conclure sur son adage de chevet : «L'art est à l'image de l'homme». Véritable définition d'une société, qui n'hésite pas à laisser entrer en pleine nuit, un scénariste inspirée et donc apte à écrire ou un monteur, préférant travailler à sa guise. Qu'en pense Derrais ? «Ils font ce qu'ils peuvent et ce qu'ils veulent. Je leur laisse les clés. Ils savent comment s'y prendre. Ce contrat est d'emblée installé lorsqu'ils travaillent pour moi. Que je sois présent ou non, c'est la règle.» D'ailleurs, Derrais n'est pas là aujourd'hui. Qu'à cela ne tienne, la porte reste ouverte créant des va-et-vient adorablement incessants. Le Hublot sera projeté ce soir en première partie. Jours de cendre, sans doute début 2013. Deux films tournés, réalisés et montrés en seulement six mois. Tout va décidément très vite dans les productions derraisiennes…