Si l'ambition de sortir du marasme une industrie laminée par les effets d'une crise multidimensionnelle est louable en soi, le challenge du Premier ministre n'est, à l'évidence, pas facile à gagner, au regard du climat des affaires qui prévaut en Algérie. C 'est sur le terrain économique et notamment la relance du potentiel industriel national que le nouveau gouvernement est surtout attendu. Une énergique reprise en main des actifs industriels qui, pour diverses raisons, fonctionnent en nette sous capacité, s'avère en effet urgente pour répondre à une demande sociale qui s'est dangereusement exacerbée au cours de ces dix dernières années, notamment en termes d'emplois et de disponibilité de produits à la portée du plus grand nombre. La tâche n'est évidemment pas facile, car il s'agit non seulement de remettre à flot le potentiel industriel public, qui dispose des plus importants actifs productifs du pays, mais aussi et surtout d'être capable d'impulser une dynamique favorable à la promotion de nouveaux investissements industriels. Un millier d'entreprises publiques Le challenge trop ambitieux pour un gouvernement dont la durée ne peut, dans la meilleure des hypothèses, excéder 20 mois (élection présidentielle en mai 2014), paraît à l'évidence possible à tenir. La tâche du nouveau gouvernement sera d'autant plus difficile qu'il doit consacrer une bonne partie de son temps à démanteler tout le dispositif législatif et réglementaire qui a causé le marasme du secteur industriel. Un dispositif expressément souhaité par le président Bouteflika qui avait, on s'en souvient, décidé d'un subit retournement de stratégie économique durant l'été 2009. La loi de finances complémentaire pour l'année 2009 et toutes celles qui allaient suivre avaient donné un contenu concret aux changements voulus par le chef de l'Etat. L'arrêt du processus de privatisation, la généralisation du Crédoc à toutes les opérations d'importation, la détention obligatoire de la majorité dans les initiatives de partenariats avec des sociétés étrangères figurent parmi les mesures phare décidées par le président de la République qui est, de par la Constitution, le chef suprême de l'Exécutif gouvernemental, le Premier ministre n'étant chargé que de la mise en œuvre de ses décisions. On ne voit donc pas par quel miracle ce dernier dérogerait à toutes ces lois inspirées directement par le chef de l'Etat, pour en imposer de nouvelles, quand bien même ces dernières seraient salutaires pour l'industrie nationale. Et à supposer que le président de la République accepte les modifications législatives que son Premier ministre souhaiterait engager, leurs formalisations demanderaient de longs mois pour ce gouvernement, qui ne durera pas suffisamment longtemps pour mener à terme les changements nécessaires à la résurrection de l'industrie nationale. Si l'ambition de sortir du marasme une industrie laminée par les effets d'une crise multidimensionnelle est louable en soi, le challenge du Premier ministre n'est, à l'évidence, pas facile à gagner, au regard du climat des affaires qui prévaut en Algérie et s'assombrit chaque année davantage. Il est bon de rappeler qu'à quelques rares exceptions près, tous les chefs de gouvernement, qui se sont succédé, depuis 1989, ont affirmé vouloir faire du redressement industriel une priorité, mais, au bout du compte, ils n'ont réussi qu'à déstructurer encore davantage le tissu industriel algérien, à coups de réformes bâclées et de décisions intempestives. Le Premier ministre précédent avait, on s'en souvient, présenté à l'Assemblée populaire nationale un programme consistant à mettre un terme à la désertification industrielle qui a réduit la contribution des entreprises de production à la richesse nationale (PIB) à à peine 5%, en mettant en œuvre un train de mesures multiformes de nature à augmenter sensiblement cette contribution, qu'il souhaitait voir doubler en l'espace de seulement 5 années. Il quittera son poste quelques années plus tard, en laissant le tissu industriel national dans un état encore plus lamentable. Le tissu industriel algérien, sur lequel le gouvernement souhaite fonder la relance économique, est en réalité insignifiant, car composé d'à peine un millier d'entreprises publiques pratiquement, toutes empêtrées dans de graves difficultés financières et managériales, et d'environ 200 000 petites entreprises privées de production en grande partie très jeunes et sans envergure, qui éprouvent d'énormes difficultés à se maintenir en vie. Exténués par les efforts surhumains que requiert l'activité industrielle soumise à des tracasseries bureaucratiques permanentes, à la concurrence déloyale et à l'instabilité juridique, bon nombre d'industriels ont, de surcroît, fait le choix de changer d'objet social pour s'installer dans le confortable créneau de l'importation et de la revente en l'état. Potentiel industriel laminé Tous ces blocages font qu'aujourd'hui il ne reste pratiquement plus rien de notre potentiel industriel. La situation risque même d'empirer dans les toutes prochaines années en raison de la désertion du secteur industriel par les quelques opérateurs restants de plus en plus nombreux à investir les créneaux de commerces lucratifs. En moins de quatre années, l'Algérie a, en effet, perdu près de 50 000 PME industrielles pendant que le nombre de sociétés de négoce progressait, passant d'environ 12 000 entités en 2003 à près de 40 000 aujourd'hui. Le récent recensement, effectué par l'ONS, confirme cette inquiétante tendance à la désindustrialisation de l'économie algérienne, avec une très nette prédominance (plus de 90%) des petites entreprises de commerce et de services, par rapport aux unités des secteurs de l'industrie et du BTP réduites à portion congrue. Les entreprises industrielles publiques ont, quant à elles, été rendues exsangues par l'interdiction qui avait été faite, dans le milieu des années 1990, d'investir dans la modernisation, l'accroissement et la réhabilitation de leurs équipements de production. Les usines, pour la plupart acquises durant les années 1970 et 1980, ont ainsi eu le temps de vieillir et d'être passées de mode, au moment où la technologie et l'innovation progressaient à grands pas à travers le monde. Déblocage immédiat des projets La reprise des unités industrielles publiques par des opérateurs privés ne s'étant pas faite comme prévu, les actifs industriels algériens dépassant pour la plupart vingt années d'âge ont fini par être technologiquement déclassés. Les grands pôles industriels publics des années 1970 (Annaba, Sidi Bel Abbès, Tizi Ouzou, Tlemcen, etc.) ont commencé à péricliter dès la fin des années 1980, tandis que le secteur privé, encore fragile et empêtré dans les méandres de la bureaucratique, a du mal à prendre le relais. Les institutions étatiques au début des années 2000, à l'effet de donner de nouveaux ressorts à l'industrie nationale (Andi, Calpi), se confineront malheureusement au simple rôle d'enregistreuses d'intentions d'investir, chargées de tenir les statistiques de projets qui ne dépasseront pas, dans la majorité des cas, le stade de la déclaration d'intention. L'Agence nationale pour le développement de l'investissement (Andi) et le Conseil national de l'investissement (CNI), qui seront créés quelques années plus tard dans le but, officiellement déclaré, de promouvoir les gros investissements, ne feront pas mieux. Le CNI se comportera même, à bien des égards, beaucoup plus comme un prédateur d'investissements qu'un facilitateur. Le nombre de projets d'envergure qui ont sombré dans le trou noir de cette institution est considérable. Le montant global des investissements en attente d'agrément dépasserait allégrement les 20 milliards de dollars, selon les estimations du Forum des chefs d'entreprises (FCE) qui cite, entre autres gros projets en attente, des complexes pétrochimiques, métallurgiques, des cimenteries, des hôtels et de grandes infrastructures touristiques, un port d'envergure continentale à Cap Djinet, des usines de montage d'automobiles et d'importants projets agro-industriels. Le même problème se pose pour les investissements que devaient promouvoir des entreprises publiques, soumises au visa préalable du Conseil des participations de l'Etat (CPE). Là aussi, ce sont des dizaines de projets industriels que souhaitaient réaliser des entreprises publiques économiques (EPE), seules ou en partenariat avec des opérateurs privés algériens et étrangers, qui végètent, pour certains, depuis plusieurs années. Le Conseil national de l'investissement et le Conseil des participations de l'Etat ayant tous deux été longtemps présidés par un Premier ministre rétif aux gros investissements privés, les observateurs de la scène économique algérienne attendent le tout récent chef de l'Exécutif, Abdelmalek Sellal, sur les décisions qu'il sera prochainement appelé à prendre en tant que nouveau président du CNI et du CPE. L'arrêt de la désertification industrielle passant nécessairement par le déblocage immédiat de tous les projets industriels viables en attente du feu vert du Conseil national de l'investissement ou du Conseil des participations de l'Etat. Il est impératif que soit placé à leur tête un Premier ministre qui place l'intérêt du pays, plutôt que l'intrigue et l'obstruction au premier rang de ses préoccupations. Abdelmalek Sellal continuera t-il sur la lancée d'Ahmed Ouyahia à faire obstacle aux projets industriels destinés à produire de la richesse et des emplois ou bien s'évertuera-t-il, comme souhaité, à promouvoir les projets d'investissements en attente qui, s'ils venaient à être réalisés, feraient gagner à notre PIB au minimum trois points supplémentaires ? Ce revirement souhaité dépend évidemment de la volonté du tout puissant président de la République qui, comme on le sait, continue à avoir l'œil sur toute l'action gouvernementale. Et rien ne se fera sans son aval.