L'Irak est encore loin de connaître la stabilité, un concept qui doit être appréhendé sous tous ses aspects, parce que ce pays, depuis trois années, constitue un tout. En ce 3e anniversaire de son occupation, il est avant tout le champ d'expérimentation de nouvelles données comme la guerre préventive expérimentée par les Etats-Unis qui ont d'ailleurs lancé la guerre le 20 mars 2003, malgré les avertissements de la communauté internationale, et les faits lui donneront raison, puisque tous les prétextes invoqués par Washington se sont avérés infondés. Les Etats-Unis croyaient, par ailleurs, mener une guerre éclair, et ses stratèges militaires ont établi un échéancier précis de tout juste quelques semaines à l'issue desquelles, le président américain George W. Bush a effectivement annoncé la fin de la guerre. Et pourtant la guerre, celle que l'Irak n'attendait jamais, n'avait pas encore commencé. C'est la guerre dans la guerre, ou encore des guerres plurielles, puisque maintenant tout le monde combat tout le monde. La boîte de Pandorre a été ouverte, comme le disait un chef d'Etat occidental qui devait se dire lui aussi combien il était éloigné de la réalité qu'il croyait décrire. Et rien n'indique une quelconque amélioration, encore moins les tractations d'hommes politiques qui occupent le vide laissé par la chute de l'ancien régime et son pouvoir hégémonique. Ceux-là en sont à vivre dans des bunkers et à chercher les meilleures voies de ne plus perdre le pouvoir. On ne compte plus les rencontres en ce sens, la dernière étant celle qui les a réunis la semaine dernière autour du président Jalal Talabani, celui-là même qui refuse de se contenter d'une charge symbolique. L'objectif était de trouver un accord sur le choix d'un chef de gouvernement. Ce que n'arrive pas à faire le Parlement élu il y a trois mois. Un tel accord semble toutefois difficile, selon des sources politiques qui soulignent les divergences persistant entre les principaux groupes appelés à former un gouvernement d'union nationale. « Je pense que la mise en place du gouvernement prendra encore du temps et n'interviendra pas avant mai prochain », a ainsi déclaré Hassan Chommari, élu de la liste chiite représentant le parti Al Fadhila. D'après lui, trois raisons principales l'empêchent dans l'immédiat : la question de la reconduction au poste de Premier ministre d'Ibrahim Jaâfari, rejeté par les Kurdes et les sunnites, le partage des portefeuilles ministériels et les prérogatives du chef du gouvernement, que certains souhaitent limiter. « En toute franchise, nous sommes loin de la formation du gouvernement », a estimé pour sa part le négociateur kurde Mahmoud Osmane, pour qui les réunions entre les groupes politiques ayant des blocs parlementaires ont pris trois mois de retard. Ces réunions regroupent l'Alliance unifiée irakienne (AIU, coalition chiite dominant le Parlement), les Kurdes, les deux groupes sunnites et la coalition conduite par l'ancien Premier ministre Iyad Allaoui. Quant au nouveau Parlement, c'est tout juste s'il a pu tenir jeudi dernier une session inaugurale protocolaire. Au cours de la session qui n'a duré que 40 minutes, les 275 députés réunis dans le secteur fortifié de la Zone verte à Baghdad, encadré par un imposant dispositif de sécurité, ont prêté serment sans désigner leur président. « Conformément à la Constitution, la séance doit désigner le président et ses deux adjoints, mais après consultations avec les blocs politiques, il a été décidé de la laisser ouverte dans l'attente d'un accord » sur un gouvernement d'union nationale, a déclaré le doyen d'âge des députés, le sunnite Adnane Al Pachachi, 83 ans. Autre élément de crise. Et là aussi, il ne faut pas se tromper dans le propos. Ainsi en est-il de M. Pachachi qui a appelé ses compatriotes à « démontrer au monde qu'ils ne seront pas entraînés dans une guerre civile » et les leaders politiques à se placer « au dessus des considérations confessionnelles pour former un gouvernement d'union nationale ». Il a été interrompu brièvement par le puissant leader chiite, Abdelaziz Hakim, chef du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), qui a protesté contre le caractère politique de cette intervention, soulignant que la session n'avait qu'un caractère protocolaire. Les formations politiques irakiennes continuent de chercher une formule de partage du pouvoir. De plus, le dynamitage, le 22 février, d'un mausolée chiite, suivi par une vague de violences qui a fait plus de 400 morts, fait planer sur le pays les risques de guerre civile. S'exprimant après la réunion du Parlement, M. Jaâfari a dit s'attendre à la formation d'un nouveau gouvernement « dans pas plus d'un mois ». Il a affirmé qu'il ne le dirigerait pas « si le peuple lui demande de partir », mais qu'il était toujours prêt à « assumer cette responsabilité au service du peuple ». La formule ambiguë ne semble pas indiquer une claire intention de M. Jaâfari de renoncer à sa candidature qui avait été décidée par l'AUI et qui est contestée par les Kurdes et les sunnites. Le ministre du plan, Barham Salah (kurde), a évoqué le risque d'une « tempête politique » si le pays tarde à mettre sur pied les institutions de l'Etat. « J'aurai souhaité qu'on puisse désigner aujourd'hui un président du Parlement, un président et un Premier ministre. Le pays a besoin de se réveiller car il y a le risque d'une tempête politique qu'illustre le nombre de morts, de liquidations et d'actes terroristes », a-t-il dit. Une évidence relèverait-on, mais une évidence tout de même dangereuse puisqu'elle propulse ce pays vers son éclatement. Le président Bush arrivera t-il à convaincre lui qui a promis samedi de juguler la violence dans le pays ? « Nous finirons la mission. » George Bush n'a pas abordé le sujet controversé des introuvables armes de destruction massive, qui avaient servi d'argument pour envahir l'Irak. De récents sondages ont révélé que la popularité de M. Bush était au plus bas, de plus en plus d'Américains se disant sceptiques sur la situation en Irak et sur les bienfaits de cette intervention. Les guerres se poursuivent en Irak, et il est bien difficile d'en prévoir la fin, et surtout la manière.