La neutralisation de l'Irak entre de plain-pied avec la vision que se fait Washington du nouvel ordre des choses au Moyen-Orient. Un pan du voile de la nouvelle politique arabe américaine se lève peu à peu, tant par la neutralisation, aujourd'hui consommée, de l'Irak, que par les menaces directes en direction de la Syrie, accusée, à son tour, de disposer d'armes de destruction massive. Ces accusations contre un pays - même sans preuves - de détention d'armes prohibées, semblent être, dès lors, pour l'administration américaine, une raison suffisante pour décider du déclenchement d'une guerre «préventive» contre ledit pays. Ce concept, tout à fait arbitraire - qui confine au fait du prince - de «guerre préventive», inventé par le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, se conjugue en fait assez bien avec la théorie, tout aussi réductrice, de «souveraineté limitée», qui a fait ses preuves dans l'Europe communiste. De fait, la guerre préventive, étrennée par les coalisés contre l'Irak, illustre parfaitement l'hypothèse de souveraineté limitée que Washington a, désormais, décidé d'imposer aux pays arabes, dont le tort est, d'une part, d'être assis sur les plus grandes richesses énergétiques mondiales et, d'autre part, de constituer un danger potentiel pour leur protégé israélien. En imposant des limites à l'indépendance des pays arabes, les Etats-Unis réalisent d'une pierre deux coups. La théorie de la souveraineté limitée, dont le concepteur avait été le secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), Léonid Brejnev, avait été mise en application dans les années 70, par le pouvoir soviétique désireux de prévenir les turbulences et les révoltes des pays de l'Europe de l'Est, dont le massacre du printemps de Prague, en 1968, en a été la sinistre illustration. Revue et corrigée aux normes américaines, cette doctrine avait, en fait, commencé à être mise à exécution aux lendemains du choc pétrolier de 1973, conséquence directe de la guerre de ramadan 73 entre les pays arabes et Israël. Ebranlés par les retombées de cette guerre, et les répercussions négatives qu'elle a induites, aux plans économique et énergétique - poussés également par le lobby prosioniste au plan géostratégique - les Etats-Unis se sont déterminés à prendre les choses en main dans l'ensemble du Moyen-Orient. Le secrétaire d'Etat, de l'époque, Henry Kissinger, a été l'un des initiateurs de la nouvelle politique en direction du monde arabe, dont il scella les bases, préconisant notamment, l'occupation des places stratégiques de la région (puits pétroliers, ports contrôlant les accès du détroit d'Ormuz - Golfe arabe - et du canal de Suez) pour prévenir la répétition du scénario de 1973. Cette politique d'endiguement du monde arabe allait être mise en oeuvre dès 1979, avec la neutralisation de l'Egypte, contrainte d'accepter l'accord de paix israélo-égyptien de Camp David. L'Egypte rentre ainsi dans les rangs et sort, sans gloire, du champ de bataille avec, comme conséquence, sa mise au ban du monde arabe durant une décennie. En 1994, c'est la Jordanie qui établit des relations diplomatiques avec Israël, quittant à son tour la ligne du front. La deuxième guerre du Golfe, après l'invasion par l'Irak du Koweït, a éliminé de facto ce pays qui avait de sérieuses chances de prendre le leadership arabe. George W.Bush fils, a parachevé en 2003, ce que son père n'a pu achever en 1991, dégageant un peu plus l'horizon d'Israël. Alors que l'on se bat encore dans un Irak exsangue et déstructuré, le président Bush désigne de facto la future cible de l'armada américaine, la Syrie, de Bachar Al Assad - et dernier obstacle à l'hégémonisme israélien sur le Proche-Orient - qui est accusée, à son tour, de disposer des armes de destruction massive. S'il y avait un doute sur les intentions belliqueuses de Washington, il suffit de se reporter aux déclarations de la conseillère présidentielle pour la sécurité, Condoleezza Rice - égérie de Bush dans la guerre contre l'Irak - confirmant, lors du congrès de l'Aipac (American Israel Public Affairs Committe), qui s'est tenu récemment à Washington, que la Syrie et l'Iran «sont les probables prochaines cibles de la coalition», quand, mine de rien, John Bolton, sous-secrétaire d'Etat, chargé des Affaires asiatiques, renchérit affirmant: «Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous soit assez naïf pour croire que l'exemple de l'Irak seul sera suffisant.» (Ces deux faucons s'exprimaient devant une brochette de dirigeants en fonction, américains et israéliens - dont Sylvan Shalom l'actuel chef de la diplomatie israélien - qui ont pris part au congrès de l'AIPAC). C'est dire si, ces deux pays, les Etats-Unis et Israël, partagent la même vision sur le monde arabe, consistant dans sa neutralisation d'une part, et d'autre part, la limitation de la souveraineté des Etats arabes, qui pourraient être placés sous le contrôle direct de Washington, voire de Tel-Aviv, en tant que puissance nucléaire régionale. Il n'est pas sans relever que la parfaite synchronisation des déclarations de Bush et Powell, qui s'en prennent directement à la Syrie, et celle d'Ariel Sharon qui met dans le collimateur l'Iran et la Libye - qui, selon lui, tenteraient d'acquérir des armes de destruction massive - et l'Arabie Saoudite, - selon le chef du gouvernement israélien, soutien du terrorisme international - sont loin d'être fortuites. Une sorte de partage des tâches entre Américains et Israéliens qui permet à l'administration Bush de s'occuper en priorité de la Syrie, alors que leurs compères israéliens préparent le terrain pour ce qui est des trois pays cités ci-dessus. Dorénavant, et en droite ligne avec la nouvelle politique arabe de la Maison-Blanche, la souveraineté des Etats arabes est appelée à être restreinte au maximum, dès lors que ces derniers menacent l'approvisionnement énergétique des Etats-Unis, ou constituent un danger pour la sécurité d'Israël. La destruction de l'Irak, le changement brutal de son régime, sont autant d'avertissements, sans frais, pour les pays arabes qui doivent désormais, selon les stratèges américains, savoir qui est le décideur, et se conformer, à l'avenir, aux directives de Washington. Le nouvel ordre américain est bel et bien avancé, au moment où les Arabes n'en finissent pas de s'entre-déchirer.