La Sirène est noyée dans un immense égout évoluant au milieu d'un chantier qui a transformé la plage en désastre écologique. Les élus locaux ne sont pas près de bouger le petit doigt. » Ce sont les paroles de âami Amar, un octogénaire, pêcheur de profession et natif de l'ex-Fort de l'Eau. Cette déclaration est confortée par plusieurs citoyens et par la réalité du terrain. Le visage qu'offre le boulevard du front de mer d'une saleté répugnante « épouse » convenablement l'état de la plage où se déversent des égouts à ciel ouvert. Les candélabres ornant ce boulevard, badigeonnés à la chaux, sont en majorité défectueux. Les luminaires pour la plupart cassés donent l'impression d'un lieu lugubre. Certains coins de ce boulevard ont été transformés en urinoirs, faute de latrines. Avant d'engager le premier pas vers la plage en empruntant des escaliers à peine accessibles, des odeurs nauséabondes vous picotent les narines et vous brûlent les yeux, au point de vouloir faire demi-tour. Après avoir franchi cet écueil « obligatoire », les estivants, en majorité des démunis, ne sont pas au bout de leurs peines. Ils sont obligés de transiter par-dessus des égouts et des pierres. Un peu plus loin, un rouleau de fil barbelé rouillé fait office d'obstacle. Et comme le destin fait parfois bien les choses, nous rencontrons, en contrebas de ce passage, un pêcheur qui s'apprêtait à écouler son « butin » qu'il a pêché justement à proximité d'un immense égout. La pollution pour notre pêcheur est une question secondaire. L'essentiel, c'est de se faire un peu d'argent. « Toutes les plages sont polluées. Montrez-moi une seule plage qui ne l'est pas. La pêche, c'est mon gagne-pain, je m'y adonne pour me nourrir. » Notre « ami pêcheur », annuellement chômeur, met au second plan la santé du citoyen. « Ana chkoune ikhamam aâlia ! », nous dira-t-il, le front ridé. Poursuivant notre « randonnée » au milieu de cette plage au sable mélangé à la terre, nous faisons face à une panoplie de consommateurs de psychotropes et d'ivrognes qui viennent se prélasser en ces lieux abandonnés. « Je prends un bol d'air pollué », nous lance ironiquement l'un des consommateurs de psychotropes. Notre interlocuteur reconnaît que l'état des lieux reflète en fait « l'état d'esprit » des élus locaux vis-à-vis des citoyens. « Nous faisons face à un laxisme qui n'a pas d'égal. Ce sont des affairistes, spécialistes du décamètre (entendre dilapidation de lots de terrain) », accusent-ils. Au bout de cette plage, heureusement surveillée, la situation n'est guère meilleure. Le sable a pris une couleur noirâtre à cause du déversement d'eaux usées. Celles-ci sont cachées selon un « procédé malicieux ». « Il faut être élu à Bordj El Kiffan pour avoir une telle recette », nous dira âami Amar au bord du fou rire. « Deux mois avant l'ouverture de la saison estivale, les élus ont remué toute la plage pour cacher leurs tares. Ils ont fait beaucoup d'efforts pour cacher toutes les lacunes capables de remettre en cause l'autorisation d'ouverture de la Sirène à la baignade. » Effectivement, les odeurs qui s'y dégagent confortent la thèse de notre interlocuteur. Les mouches et les moustiques prospèrent. « Il nous faudrait utiliser des pastilles antimoustiques, pour faire face aux régiments de mouches et de moustiques qui nous importunent », nous confie une dame en exhibant des traces de piqûres sur les bras. Même le chef de poste de la Protection civile témoigne en défaveur des élus de la municipalité. « Tous les matins, nous sommes obligés de débarrasser les alentours de la plage des tessons de bouteilles laissées la veille par des amateurs de beuveries nocturnes. » Au niveau de la présidence de l'APC de Bordj El Kiffan, c'est le silence radio. Les quelques élus contactés ont tous refusé de s'exprimer, sauf le vice-président chargé de l'environnement et du tourisme, Maâmar Zouaï. Ce « représentant du peuple » a usé de toute une « diplomatie » pour nous faire croire le contraire. « Depuis de longues années, c'est la première fois que nous autorisons la baignade dans la Sirène. Nous procédons quotidiennement par le biais de l'APPL aux analyses de l'eau de mer », argue-t-il. Parlant des égouts qui déversent leur contenu dans la mer, notre interlocuteur se veut rassurant et nous dira en conclusion : « Puisque les analyses de l'eau ne démontrent aucun danger, il est donc inutile d'en faire un drame. La Sirène est une plage propre. Elle compte parmi les plages les plus propres de la côte algéroise. » Une vue de l'esprit, osons-nous dire, en ce sens que la plage est dans un état déplorable et un gargotier exerce dans des locaux insalubres. Sans être autorisé par la direction de la santé de la wilaya d'Alger. S'il a reçu une autorisation d'installer une cabine démontable par les autorités locales, le gargotier, mitoyen de l'égout, a préféré construire sa cabane en dur.