Les derniers incidents de l'ambassade américaine à Tunis ont relancé de plus belle la polémique sur l'éventualité d'un gouvernement d'union nationale en Tunisie. Mais chaque clan politique le voit à sa manière. La surenchère politique bat son plein en Tunisie à l'approche du 23 octobre 2012. Cette date coïncide avec l'expiration de l'engagement moral pris par la quasi-majorité des partis politiques présents à l'Assemblée, y compris Ennahda, pour terminer la rédaction de la Constitution. D'où une polémique sur la légitimité du pouvoir actuel après cette date symbolique et ce débat sur un gouvernement consensuel. Par ailleurs, pour une fois, la troïka gouvernante n'a pas vu d'un mauvais œil cette proposition. «C'est normal puisqu'elle traverse une mauvaise passe», explique le dirigeant du parti de Nida Tounes, Mohsen Marzouk. «Ils ont intérêt à noyer leurs échecs partisans dans un gouvernement de front», ajoute-t-il. Les trois partis de la troïka sont ouverts au dialogue sur cette question, entre eux et avec les autres partis politiques. Ainsi, Ennahda, par la voix du porte-parole de son bureau d'information, Fayçal Nasr, a rappelé : «Nous n'avons cessé d'appeler à l'élargissement de l'alliance gouvernante sur la base d'une feuille de route claire, englobant les tâches fondamentales de l'étape à venir.» Il a mis l'accent sur «la nécessité d'une armistice politique pour laisser la voie ouverte à un consensus national». Quant à Ettakatol, lors de la dernière réunion de son bureau politique, il a invité les parties de la troïka à «procéder dans les plus brefs délais à une évaluation sérieuse et précise du rendement du gouvernement» et réitère son appel à «instaurer un gouvernement d'intérêt national élargi, qui engloberait d'autres parties représentées à l'ANC, de manière à faciliter le consensus autour des questions en suspens, ainsi qu'un consensus autour de l'agenda national englobant la Constitution, les prochaines élections, etc.». Pour ce qui est du Congrès pour la République (CPR), son secrétaire général, Mohamed Abbou, a exprimé son adhésion à tout processus de consensus national, mais s'est réservé le droit d'opposer son veto à tout élargissement «suspect» de la troïka. Le CPR est connu pour sa susceptibilité des ex-RCDistes. Réserves Du côté des partis de l'opposition, ceux présents au sein du bloc démocratique à l'Assemblée, fort de 31 membres, ont exprimé des réserves par rapport à cette proposition. «Ce gouvernement n'a pas accompli les missions pour lesquelles il a été désigné, à savoir la lutte contre le chômage et le déséquilibre régional. Il doit partir et laisser la place à un gouvernement de technocrates dont la tâche se limitera à aider dans la réalisation des prochaines élections», a déclaré Iyad Dahmani, élu de ce bloc. De son côté, Ridha Belhaj, le porte-parole de Nida Tounes, le parti du Premier ministre de transition, Béji Caïd Essebsi, a insisté sur «un agenda clair et précis» pour ce prochain gouvernement dont la tâche devra «se résumer à la réalisation des échéances électorales établies par la Constitution». Belhaj a attiré l'attention sur «le devoir de bloquer les cessions des entreprises confisquées», les assimilant à «des ventes d'immobiliers pour survivre». «Ce sont les avoirs du peuple tunisien et ils ne disposent pas de délégation pour opérer ces ventes», a-t-il dénoncé. Un consensus est donc là pour un gouvernement d'union nationale, à condition que ses tâches soient restreintes à un échéancier électoral et à l'expédition des affaires courantes. Mais la troïka gouvernante ne l'entend pas, semble-t-il, de cette oreille.