Sonatrach s'enfonce depuis plusieurs années dans une crise stratégique. Un ressac historique à la clé de l'écume. Hausse vertigineuse des revenus, baisse dramatique des capacités prévisionnelles de l'offre de pétrole et de gaz. C'est dans ce tourbillon enivrant, mélangeant sommets et abîmes, que sont arrivées les affaires entre 2006 et 2010. La gouvernance du groupe est alors passée en mode veille. Et n'en est toujours pas sortie avec la valse à quatre temps Meziane-Feghouli-Cherouati-Zerguine. Le tableau clinique est le même. Les P-DG de Sonatrach ne sont pas des patrons comptables devant leur conseil d'administration, mais des relais de transmission de la strate politique. Le retour du groupe dans le football en est l'illustration la plus burlesque. Inquiété, au printemps dernier, par les débordements provoqués par la crise du Mouloudia d'Alger et par celles d'autres clubs dans le pays, le président Bouteflika ordonne au gouvernement d'éteindre l'incendie du football professionnel, mal né, par un jet de neige pétrolière. Instruction est donc donnée à Sonatrach de reprendre le MC Alger. Mais voilà qu'une décision aussi brillante que l'est l'activité intellectuelle au sommet de l'Etat devient, à son tour, un nid à problèmes. Pourquoi le MCA seul ? Le patron de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, corrige le tir, toujours sur instruction politique, et «décide», généreusement, que la recapitalisation des SSPA du football par le groupe pétrolier toucherait quatre clubs et non plus un. Depuis cette semaine, c'est chose faite pour deux d'entre eux : le CS Constantine est repris à 75% par Tassili Airlines, filiale de transport aérien de Sonatrach, et le MC Oran par Naftal à la même hauteur de capital. La JS Saoura, nouveau promu à Béchar, attends l'entrée imminente dans son capital de Enafor, une filiale de forage du groupe. Tandis que pour le MC Alger, point de départ de ce retour vers le futur, Sonatrach devrait s'emparer de la société par actions le Doyen en quasi faillite. La chronique de cette prodigieuse croissance externe de la plus grande entreprise du pays dit bien la psychose de l'orientation économique algérienne. Une réforme ratée du football – la FAF suggère aujourd'hui de revenir à 16 clubs pro au lieu de 32 – est rattrapée par une dépense publique déguisée via Sonatrach. La réflexion interne au sein du groupe était exactement à l'antipode. Il s'agissait de sortir de l'héritage de Chakib Khelil, l'homme qui a voulu faire de Sonatrach un Léviathan présent dans le capital de centaines de métiers différents en Algérie. C'est-à-dire un archipel vaporeux où l'incompétence devient croissante au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la sortie du puits. Sur la feuille de bord de la technocratie du secteur de l'énergie, deux mots d'ordre : recentrage, croissance sur les métiers historiques. Dans les faits, Naftal, essoufflée par la course derrière la demande domestique en carburants, va s'engager avec un ballon sur la ligne de front populaire d'El Hamri. Sonatrach est déjà gestionnaire d'un club omnisports, le GSP. La surveillance des comptes laisse entendre qu'il n'a pas été géré de la plus saine des manières. L'idée était de restituer les disciplines omnisports, en déshérence dans l'anonymat du GSP, à leur ancrage populaire, le MC Alger. Et d'y maintenir l'engagement comme parrain-sponsor, afin de soutenir l'effort olympique. Désengagement capitalistique et managérial. Le gouvernement fait l'inverse. Engagement dans le football. Là ou la mobilisation des capitaux privés est largement possible et ou les aides publiques promises en 2010 ne sont pas encore concrétisées. Sonatrach et ses filiales ont pris la précaution de ne pas prendre 100% des actions. Il y aura donc un partenariat public-privé pour diriger les quatre SSPA. Avec les capitaux du public. Vers les résultats que tout le monde peut deviner. Sonatrach a, dans le football, gagné deux championnats et une Coupe d'Algérie en… 22 ans au MC Alger. La célérité avec laquelle ce retour de Sonatrach dans le football a été bouclé caricature l'errance économique algérienne. Le renouvellement des réserves prouvées est descendu à 50% en dix ans, le développement du bassin gazier du Touat Gourara a pris 10 ans de retard, Hassi R'mel est entré en déplétion depuis 5 ans, la fiscalité pétrolière, enfin retouchée, bloque l'investissement étranger depuis 2006, les nouveaux partenariats de l'aval pétrochimique sont à l'arrêt, la migration de la ressource humaine de qualité de Sonatrach s'est accélérée. Sonatrach ne grandit plus à l'international, dans un contexte historique de chute des actifs en Grèce et en Espagne. Pendant ce temps, Abdelhamid Zerguine, discret sur ces grands enjeux, s'apprête à se mettre sur la photo avec Omar Ghrib, l'homme fort de la SSPA/MCA à un million de dinars. Une manière décontractée de préparer l'avenir de l'Algérie.