Très originale est l'idée de la compagnie Les sens des mots qui s'est amusée à produire des textes basés sur de singulières brèves rencontres entre des auteurs dramatiques et des hommes de sciences spécialisés dans diverses branches de la connaissance, pour produire d'étonnantes histoires que des comédiens interprètent sur scène (lecture-spectacle). Le projet s'intitule «Binôme», et il en est, en ce moment, à sa quinzième rencontre. A Oran, la ville qui participe, par l'entremise de l'Institut français, à la manifestation «Nuit blanche» initiée par la ville de Paris en 2002, c'est de «lumière bleue» qu'il s' agit. C'est le résultat de la confrontation entre l'auteur Emanuel Bourdieu et l'enseignant chercheur de l'Institut français de physique nucléaire et de physique des particules, François Vanucci, qui a été présenté à l'ouverture, samedi, de la manifestation. Cela ne pouvait pas tomber mieux à la veille de la célébration de la naissance du physicien danois Niels Bohr (7 octobre 1885-18 novembre 1962), un des précurseurs. Comme cela a été le cas pour les autres «binômes», François Vanucci avait tout juste 50 minutes pour présenter sa spécialité et Bourdieu deux mois pour produire un texte. De la discussion entre les deux hommes ayant fait le tour des particules élémentaires, ces briques originelles avec lesquelles a été construite la matière, l'auteur a retenu l'histoire des neutrinos de masse négligeable et dont la charge neutre leur permet d'échapper aux captures ou même aux répulsions des autres éléments constitutifs chargés négativement ou positivement. C'est cette capacité à traverser le cosmos sans encombre, qui a d'abord retenu l'attention de l'auteur pour ensuite voir sa curiosité aiguisée en apprenant qu'une fois, par hasard, par une très infime probabilité, il arrive à un malheureux neutrino de percuter un constituant de la matière et d'arrêter sa course (1 neutrino sur 10 milliards qui traversent la terre est stoppé). Voici un événement qui peut être transposé dans l'univers de la condition humaine, car cette entorse au fait habituel se prête bien à un questionnement existentiel, un des matériaux de l'art dramatique. Ce genre de spectacles peut effectivement constituer une belle entrée en «la matière», mais c'est à double tranchant à cause des inexactitudes que les artistes non initiés à la rigueur scientifique peuvent véhiculer. Dans le débat, une des comédiennes a bien fait de préciser qu'il ne s'agit nullement de vulgarisation scientifique. En effet, parlant de leur prestation, les comédiens ont répété à maintes reprises, évidemment à tort, le mot «nanoscience», un terme qui définit une discipline totalement différente du domaine des connaissances pris en considération par l'étude des particules élémentaires, dont fait partie le neutrino. La cause est dans l'ordre de grandeur de l'objet. La nanoscience se limite à l'échelle atomique et moléculaire et se soucie de trouver des applications concrètes dans la vie courante, alors que la physique des particules va beaucoup plus en profondeur pour tenter de résoudre l'énigme des constituants les plus infinitésimaux de la matière et de répondre à la grande question de l'origine de l'univers.