Considéré comme l'un des plus grands sociologues du 20e siècle, Abdelmalek Sayad (1932-1998), a élaboré une théorie liée au phénomène «Emigration-immigration», qu'il explique comme étant «deux phénomènes qui sont aussi indissociables que le recto et le verso de la même feuille». Christian de Monlibert, professeur émérite de sociologie, qui lui a consacré beaucoup de ses travaux, soulignera, jeudi, à l'ICF, dans sa conférence dédiée à ce sociologue «hors pair», le caractère «absolument révolutionnaire» (dans le sens innovateur), de ce concept par lequel il démontrera que la notion d'autochtonie est totalement caduque dans la mesure où elle est démentie par les nombreux flux migratoires ayant traversé le monde depuis l'antiquité. Selon lui, il y aurait 200 millions de migrants dans le monde, soit 3% de la population mondiale. Fait remarquable: les femmes représentent 49% de cette population. «Il était bien placé pour étayer sa théorie dans le temps et dans l'espace, en étudiant de visu le phénomène de l'émigration-immigration avec ses compatriotes in situ.» La genèse donc de cette émigration-migration (pour les Algériens) remonte aux années 1856-1957-1863, quand les colons avaient dépossédé les paysans de leurs terres, les poussant à une «émigration» de travail (qui deviendra «immigration»), dans le but de «se faire un peu d'argent et revenir vers la terre nourricière». D'où encore cette situation absconse de «provisoire», qui s'éternisera, s'étendant jusqu'à leur descendance. «Les migrants, qui entretiennent l'illusion du retour, -qui ne se réalisera quasiment jamais-, ne se sentent nulle part chez eux; beaucoup souffrent de maladies psychosomatiques dues à la marginalisation, l'absence de repères; ils cessent d'être créatifs; ils se désagrègent dans l'attente du retour vers la patrie, où ils ne pourraient plus non plus s'adapter», note le conférencier. Assez méconnu dans son pays d'origine, Abdelmalek Sayad, ce savant rationaliste, issu d'un milieu paysan (kabyle), -dont il se réclamera toujours d'ailleurs-, a inspiré des sociologues chercheurs à l'échelle planétaire. Sa rencontre avec Pierre Bourdieu à l'université d'Alger a été déterminante pour lui, d'abord sur un plan personnel, -une amitié «indéfectible» étant née entre eux-, puis pour sa carrière, dès lors où il sera, grâce à l'appréciation de ses qualités intellectuelles indéniables par son ami, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Une exposition de photos de Bourdieu montrant, entre autres, des paysans algériens et des paysages ruraux, légendées par Sayad, intitulée: «Ici Là-bas, la sociologie», a couronné cette belle rencontre.