Tout est sensible, comme disait Pythagore. Q ui a si justement décrété que «les objets ont une âme» ? Des objets de rebut, qui se transforment en présences furtives, multiples et mystérieuses, en langage plastique palpitant, dès lors qu'un être humain, en s'en servant,-de quelque manière que ce soit-, y laisse irrémédiablement son empreinte. C'est autour de cette thématique à la fois complexe et relative qu'est la notion du beau, que l'artiste photographe Armand Vial a réalisé une trentaine de photographies sur bâche, grand format (60 x 80 et 80 x 120), noir et blanc, pour la plupart. Le vernissage de l'exposition (du 18 octobre au 8 novembre), intitulée «Le désaileurs», a eu lieu jeudi à l'institut culturel français (ICF). Les images donnent corps à un morceau de carton (sur lequel s'est assise une personne), une bouteille en plastique, une vieille chaussure, un sachet, - que le vent emporte dans une danse endiablée, et qui fait soudain penser à quelque étrange profil de sphinge de légende -, un gobelet qu'on abandonne sur les marches d'escalier… tant de marches d'escalier, imprégnés de souffles de vies, d'histoires, -celles de mendiants ou de simples badauds. «Je regarde ma ville. Mon œil n'est plus innocent et ma mémoire chargée de tant d'images et de mots…», écrit, entre autres, l'artiste dans son texte exergue. Il nous livre ici une esquisse de cette démarche plastique qui l'a obstinément interpellé: «Le sujet s'est imposé à moi: ce qui se passe autour de marches d'escalier, publics, ou d'entrées d'immeubles, qui deviennent des éléments socio-architecturaux; des cartons y sont posés, des gens se sont assis dessus, puis les ont laissés…c'est ce phénomène profondément humain qui m'a intéressé; des gens qui attendent… cette éternelle attente de quelque chose, qu'ils lèguent, à leur insu, aux objets…» Les photographies en noir et blanc sont un travail de composition en atelier, alors que celles en couleur, sont prises in situ, nous apprend-il. Ecoutons plutôt quelques impressions de visiteurs, prises sur le vif. Mimia Lichani, une artiste plasticienne commente ainsi une photographie sur laquelle elle a particulièrement flashé: «La photo raconte l'histoire d'un lieu habité par un objet qui parle (un papier chiffonné emporté par le vent, ndlr), un déchet d'où naît le beau, des formes humaines, vivantes, qui évoquent pour moi un masque africain.» Le tout nouveau directeur de l'ICF, Jean-François Albat, nous confie, à son tour: «C'est d'une très jolie qualité graphique; ça nous parle sans arrêt de l'homme, de manière à la fois très forte et très tendre; c'est frappant, l'humain est là, tout le temps, ce que l'artiste a recréé est remarquable.» Pour Saddek Amine-Khodja, artiste plasticien et directeur de l'école régionale des beaux-arts (ERBA), à Constantine, «en art, le noir et blanc est difficile, mais il fait ressortir la véritable valeur des objets, leur mystère, ce qu'on ne retrouve pas avec la couleur». Pour rappel, une autre exposition d'Armand Vial sur Constantine, sa ville natale, -où il a décidé de revenir y vivre- a cours en parallèle à Tours, du 2 au 27 octobre courant, dans le cadre de Photofolies en Touraine, titrée «Ksar Tina». Il est également l'auteur de «Retour à l'Ailleurs», un beau petit livre qui collige photos et textes poétiques, paru aux éditions L'Harmattan en 2011.