Le chef du gouvernement du Hamas, Ismaïl Haniyeh, était hier aux anges. «Aujourd'hui, vous annoncez officiellement la levée du blocus politique et économique imposé à la bande de Ghaza», a-t-il déclaré à l'intention de cheikh Hamad, lors d'une cérémonie à Khan Younès (sud) en sa présence pour poser la première pierre d'un projet de logements destinés à des familles palestiniennes défavorisées, qui portera le nom de l'émir. «Aujourd'hui nous abattons le mur du blocus (israélien) grâce à cette visite historique et bénie», a-t-il ajouté au sujet de cette première visite d'un chef d'Etat dans le territoire palestinien depuis que le Hamas a pris le contrôle en juin 2007. «L'émir a accepté d'augmenter l'investissement du Qatar de 254 à 400 millions de dollars», a-t-il souligné. Les calculs de stratégiques de Doha M. Haniyeh a précisé que les fonds supplémentaires serviraient notamment à porter de 1000 à 3000 unités de logements la capacité de la future «cité de l'émir Hamad» près de Khan Younès et à un projet immobilier de 25 millions de dollars (19 millions d'euros) pour les anciens prisonniers d'Israël. La visite sans précédent à Ghaza de l'émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, illustre la politique d'encouragement des islamistes menée par le petit émirat qui veut s'imposer en puissance régionale, estiment des analystes. Cette politique commence à porter ses fruits, certains des anciens protégés islamistes du Qatar ayant accédé au pouvoir à la faveur du Printemps arabe, confortant l'influence de cet Etat richissime, fidèle allié des Etats-Unis. «Le Qatar a vu les révolutions arabes comme une opportunité, et non comme une menace», contrairement à d'autres régimes de la région, explique Salman Shaikh, directeur du Brookings Doha Center. Pour lui, la stratégie du Qatar «n'est pas une approche purement idéologique et dogmatique. Le Qatar a bâti des relations avec ces islamistes parce qu'il les considérait comme intègres et capables, contrairement aux régimes qui étaient en place dans le Monde arabe». Depuis son accession au pouvoir en 1995, l'émir a hébergé plusieurs dirigeants islamistes en exil et encouragé plusieurs mouvements islamistes arabes. Il a notamment maintenu de bonnes relations avec le Hamas au pouvoir à Ghaza, dont il a accueilli une première fois le dirigeant, Khaled Mechaal, en 1997 à la suite d'une tentative d'assassinat en Jordanie. Cet appui au Hamas est consacré par la visite de l'émir hier à Ghaza, où il est le premier chef d'Etat arabe à se rendre depuis la prise de contrôle par le Hamas de ce territoire en 2007. Cheikh Hamad apporte un soutien politique et économique au mouvement islamiste, boycotté par la communauté internationale, en annonçant des investissements de 400 millions de dollars pour la reconstruction de la bande de Ghaza. Une puissance régionale Il a cependant tenu à téléphoner dimanche au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dans le but de «rassurer» Ramallah, selon des analystes palestiniens, bien qu'Israël ait jugé «bizarre» que l'émir «prenne parti pour le Hamas contre l'Autorité palestinienne». «Le Qatar a toujours soutenu le Hamas. Mais je pense que la visite de l'émir vise plus à contenir ce mouvement qu'à le soutenir», estime l'analyste Abdel Wahab Badrakhan. Il souligne que «ce mouvement a récemment rompu les liens avec la Syrie, et s'il veut également couper les ponts avec l'Iran, il doit se ménager un appui régional». Car le Qatar «joue à présent le rôle de puissance régionale», souligne Paul Salem, directeur du Carnegie Middle East Center basé à Beyrouth. «Il est vrai qu'il est plus proche des islamistes, mais son ambition est de devenir une puissance diplomatique. Cela lui permet de jouer un rôle sur la scène mondiale, en s'imposant comme la clé du Proche-Orient», selon l'analyste. Le Qatar bénéficie de l'arrivée au pouvoir de ses protégés tunisiens ou égyptiens après des soulèvements populaires retransmis en direct par son formidable outil médiatique, la chaîne Al Jazeera. Ainsi, c'est au Qatar que le chef islamiste tunisien Rached Ghannouchi a effectué l'an dernier son premier déplacement à l'étranger après la victoire de son parti, Ennahdha, aux premières élections libres en Tunisie. L'émir et l'oncle Sam… Doha a annoncé en septembre dernier qu'il allait investir 18 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années en Egypte pour soutenir le nouveau président islamiste Mohamed Morsi. Le petit émirat est également en première ligne dans l'aide aux rebelles syriens, engagés dans une sanglante confrontation avec le régime de Bachar Al Assad. La politique du Qatar a, cependant, été critiquée dans plusieurs pays arabes. En Libye, des hommes politiques l'ont accusé «d'ingérence», estimant que l'émirat tentait d'exploiter le capital sympathie obtenu en aidant financièrement, militairement et politiquement la rébellion en 2011, pour manipuler le pouvoir. Les détracteurs du Qatar s'interrogent également sur les motivations de cet émirat conservateur, qui abrite la plus grande base militaire américaine dans la région. Pour Abdel Wahab Badrakhan, les deux choses ne sont pas contradictoires et il y aurait une entente tacite avec les Etats-Unis. «Avec le Printemps arabe, les Etats-Unis ont estimé qu'il y avait une occasion, sinon pour une réconciliation, du moins pour une trêve avec l'Islam politique. Ils ont vu que le Qatar était prêt à jouer ce rôle et l'Egypte a servi de champ d'expérience», affirme-t-il.