Ainsi qu'il fallait, malheureusement, s'y attendre, la trêve que l'armée et les rebelles syriens s'étaient engagés, jeudi dernier, à observer durant la fête de l'Aïd El Adha n'a pas été suivie d'effet sur le terrain. Après une accalmie d'une toute petite poignée d'heures, les combats ont repris de plus belle vendredi dernier, premier jour de la trêve. Les combats, d'une rare intensité, ont fait au moins 146 morts (53 civils, 50 rebelles et 43 soldats) en moins de 24 heures. Ce bilan qui ne diffère en rien de ceux, atroces, annoncés ces derniers jours par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) montre à quel point une solution politique au conflit sera difficile à trouver dans ce pays plongé dans le chaos. Hier encore, les violences ont fait 29 morts, selon la même source, les deux belligérants faisant usage du droit de riposte qu'ils s'étaient réservé en cas de violation du cessez-le-feu par la partie adverse. Comme ce fut le cas de la première trêve négociée en avril dernier par Kofi Annan, le prédécesseur de Lakhdar Brahimi, et qui avait déjà volé en éclats au bout de quelques heures, les deux parties en conflit se sont mutuellement accusées d'avoir volontairement torpillé le cessez-le-feu et manqué à leurs engagements. Des rebelles du conseil militaire d'Alep se sont d'ailleurs empressés pour signifier l'«échec» de la trêve âprement négociée par M. Brahimi et qualifier celle-ci de «mensonge». Répondant du tac au tac, l'armée a annoncé de son côté, dès vendredi soir, avoir riposté après des attaques rebelles. «Des groupes terroristes armés ont attaqué des positions militaires (...). Nos valeureuses forces armées sont en train de répondre à ces violations», a indiqué un communiqué lu à la télévision d'Etat. Pourtant, le chevronné médiateur de l'ONU et de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi, avait réussi le plus dur, mardi dernier, en convaincant le régime de Damas et les chefs de l'Armée syrienne libre (ASL), un des bras armés de l'opposition, de faire taire leurs armes l'espace de quatre jours. L'initiative de l'ancien chef de la diplomatie algérienne avait d'autant plus de mérite que c'était pour ainsi dire la première fois que les belligérants s'entendaient sur quelque chose depuis 19 mois. La trêve, en cas de succès, aurait sans doute servi d'excellente base de travail pour l'organisation d'un dialogue entre le pouvoir et l'opposition. Et il semble bien que c'était là l'objectif premier visé par Lakhdar Brahimi : faire taire les armes et mettre en place une atmosphère propice au lancement d'un processus politique capable de stopper l'effusion de sang. Il est vrai que si elle avait été respectée, cette trêve de 4 jours aurait pu faire prendre conscience aux Syriens du caractère horrible de la guerre et de la nécessité d'en sortir. Mais aussi souhaitée était-elle, cette trêve était tout de même marquée par trop d'incertitudes pour qu'elle ait eu une chance de fonctionner. L'on a par ailleurs trop souvent tendance à sous-estimer la complexité de la situation sur le terrain. S'il était effectivement possible pour les forces gouvernementales de respecter les ordres du pouvoir politique, qui paraissait soucieux d'améliorer une image aussi dévastée que l'est le pays, il n'était effectivement pas certain que cela allait être le cas pour les autres groupes rebelles qui, eux, n'obéissent pas à une chaîne de commandement identifiée. La rébellion pour le moins hétéroclite compte également des éléments djihadistes armés curieusement de missiles Stinger qui suivent des agendas propres. C'est, par exemple, le cas du front islamiste Al Nosra, qui a revendiqué la plupart des attentats ces derniers mois en Syrie rejeté catégoriquement la trêve patiemment organisée par Lakhdar Brahimi. Lorsque l'on sait tout cela, il n'est pas nécessaire d'aller chercher trop loin pour trouver un coupable et cerner les raisons de l'échec des envoyés spéciaux de l'ONU et de la Ligue arabe. En ne favorisant que la logique guerrière, ces groupes moitié djihadistes et moitié mercenaires – recrutés aux quatre coins du Monde arabe et grassement financés par l'Arabie Saoudite et le Qatar – paraissent même vouloir maintenant se substituer aux Syriens eux-mêmes et imposer leur propre vision de la Syrie de demain. Sans nul doute, le pire pour les Syriens serait justement qu'on leur impose une solution de l'extérieur. Et c'est, vraisemblablement, ce qui est en train de se passer.