Yousry Nasrallah, 60 ans, digne héritier de Youcef Chahine (il a notamment coécrit avec lui Adieu Bonaparte), est là pour un débat à la salle de conférences de l'Emirates Palace. A ses côtés, les jeunes Mohammed Al Darraji d'Irak, Nawaf Al Janahi des Emirats, Badr Ben Hirsi du Yémen et Mohammed Hefdhi (ou Hefzy) d'Egypte. Un débat est animé par Intishal Al Tamimi qui ne manque pas de rappeler que Yousry Nasrallah est l'une des figures les plus importantes du cinéma arabe actuel. «Pas uniquement en tant que réalisateur, mais également en tant que théoricien du cinéma, comme un artiste qui a des positions, des opinions», soutient-il. Yousry Nasrallah a ouvertement soutenu, dès le début, la révolte des jeunes Egyptiens. Il était en permanence présent à Maïdan Al Tahrir au Caire. En hors compétition, est projeté Baad al mawkeaa (Après la bataille), dernier film de Yousry Nasrallah et coproduction égypto-émiratie-française. Le fonds Sanad du Festival d'Abu Dhabi a financé une partie de cette fiction. George-Marc Benamou (ancien conseiller culture et médias du président français Sarkozy), qui a coproduit Beautés cachées, dernier film du Tunisien Nouri Bouzid, a également contribué au financement de celui de Nasrallah. La fiction, qui était en compétition officielle au Festival de Cannes en mai dernier, est inspirée de la fameuse «Mawkeaat al jamal», l'attaque par des chameliers et des cavaliers embrigadés par le régime finissant de Hosni Moubarek du rassemblement des jeunes révolutionnaires à Maidan Al Tahrir au Caire, en février 2011. Filmée par les caméras du monde entier, cette attaque avait pour objectif de déloger les protestataires. Les assaillants ont été traduits en justice après l'effondrement de la dictature. Le long métrage met en vedette des valeurs montantes du cinéma égyptien, comme Menna Shalaby et Bassem Sabra, et explore les changements introduits par la Révolution dans la vie des individus. Yousry Nasrallah tente de donner une autre explication à cette attaque menée par des hommes forcés de leur faire après avoir été affaiblis économiquement par le pouvoir corrompu de Moubarek et de ses fils. Lors du débat, le réalisateur racontera toutes les difficultés rencontrées avant d'entamer sa carrière dans le cinéma après des études en économie à l'Université du Caire. «Entre 1978 et 1982, j'ai vécu pendant la guerre civile à Beyrouth ouest. J'étais ce chrétien vivant dans la partie musulmane de la ville. Je n'étais protégé par personne. Je ne militais dans aucun parti. Avec des amis, j'ai acquis l'expérience d'éviter les bombes et les accrochages. C'est à Beyrouth que j'ai appris la leçon de rester en vie. Et c'est grâce à cette leçon que je me suis dit : oui, je peux faire du cinéma», confie-t-il. Il revient sur son expérience de critique de cinéma au journal libanais Essafir : «J'écrivais sur ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas dans le cinéma. A l'époque beyrouthine, on ne parlait que des morts. Or, au cinéma, je préfère évoquer les vivants.» Peu après, il révèlera que la comédienne Yousra avait refusé un rôle qu'il lui avait proposé parce qu'elle ne voulait pas assumer la critique de la politique de Djamel Abdelnacer, statufié par la mémoire collective égyptienne. «Depuis, j'ai appris, sur conseil de Youcef Chahine, à faire des films comme je les sens, sans faire attention aux comédiens», conclut-il. Mohammed Al Darraji décrit, de son côté, la situation actuelle en Irak : «Il est difficile de réaliser des films dans un pays où il y a une occupation étrangère, des milices, Al Qaîda, un gouvernement corrompu. On m'a traité de fou. Mais je me suis accroché à mon rêve. Le cinéma m'a aidé à comprendre la philosophie de l'existence. C'est pour cela que j'ai compris qu'il ne fallait jamais s'arrêter, kidnappé par les milices ou emprisonné par les forces gouvernementales !». Al Derraji a réalisé déjà cinq films dont Ahlam (Rêves) et Ibnou Babel (Son of Babylone). Ce dernier, projeté au festival du film arabe d'Oran, a été coproduit par sept pays. Il relate le drame des enfants qui ont perdu leurs parents en raison de la guerre au lendemain de la chute de Saddam Hussein. Le cinéaste regrette la destruction de la plupart des salles de cinéma en Irak en raison de l'occupation occidentale du pays depuis 2003. Un thème qui n'apparaît presque jamais dans les dépêches des agences de presse et dans les images de télévision ! «Il est donc difficile de récupérer les fonds dépensés pour la production des films par une exploitation commerciale. Il faut repenser l'industrie cinématographique en Irak, s'éloigner du cinéma d'Etat de l'époque de la dictature, former les jeunes», plaide-t-il, parlant d'une récente expérience de réalisation de courts métrages par une vingtaine de jeunes irakiens. Bader Ben Hirsi, qui vit entre Londres et Sanaa, reconnaît sa responsabilité dans la relance de l'art cinématographique au Yémen avec un groupe restreint de cinéastes. Il a notamment réalisé Yaoum jadid fi Sanâa al qadima (Nouveau jour dans le vieux Sanaa). Cette fiction, qui puise sa sève dans le réalisme magique et dans la fantaisie, dénude l'hypocrisie de la société yéménite d'aujourd'hui à travers la petite rébellion d'un photographe refusant de convoler en justes noces avec une fille native de l'aristocratie locale. «Au début, j'ai fait face à des difficultés pour trouver des acteurs. Ceux-ci ont de l'expérience au théâtre, mais pas au cinéma. Il fallait attendre plusieurs mois pour concrétiser le projet», se rappelle le cinéaste. Il existe, selon lui, quatre jeunes cinéastes au Yémen qui peuvent donner vie au cinéma dans ce pays. «Contrairement aux autres pays du Golfe, il n'y a pas de soutien financier au cinéma, pas de festivals, rien. Mais, il y a de l'espoir», lance-t-il. Coproducteur de Microphone (2010), le film qui avait pressenti la révolte du peuple égyptien, et de Akhi Chaytane (Mon frère le diable), Mohamed Hefdhi est revenu sur ses débuts dans le septième art. «Avant le cinéma, mon premier amour était le théâtre. J'ai commencé à lire la littérature du théâtre dès l'âge de 16 ans. Lors de mes études d'ingéniorat à Londres, je me suis intéressé davantage aux pièces de théâtre et aux films. A partir de là, j'ai décidé d'écrire mon premier scénario. J'avais à peine 21 ans. Ce n'est que plus tard que je suis passé à la production, à partir de 2007», se souvient-il. Ce diplômé de l'université américaine du Caire a collaboré avec plusieurs cinéastes de la nouvelle vague du cinéma égyptien, comme Tarek Al Arian et Ahmed Medhat. Il dit faire confiance aux jeunes cinéastes tels que Amr Salma ou Mohamed Diab, capables, selon lui, de produire du «cinéma mature».