Mohamed Rafik Zaïmèche est directeur général de la SARL Wiam de Petite Kabylie, leader de la transformation du liège dans la wilaya de Jijel. Avec un collectif de huit transformateurs de la région, il monte au créneau. Une décision du CPE a précipité l'activité au bord de l'apoplexie. -Vous avez adressé, vous et sept autres chefs d'entreprise du collectif des transformateurs du liège, un courrier au premier ministre dans lequel vous demandez le rétablissement de l'accès à la matière première (liège), faute de quoi vos activités vont s'arrêter. Comment la filière en est-elle arrivée là ? Cette situation est la conséquence de la décision du conseil des participations de l'Etat (CPE) du 26 mars dernier. Elle écarte le secteur privé de l'achat de la matière première liège, en organisant une vente prioritaire de la récolte au profit de trois entreprises publiques de la filière. Que l'Etat actionnaire à 100% de Béjaïa Liège, Jijel Liège et Etanchéité, et Taleza Liège Collo veuille les redresser, nous n'avons rien contre au sein de notre collectif, même si nous avons notre opinion sur la viabilité notamment de la plus importante de ces entreprises aujourd'hui quasiment à l'arrêt. Qu'il mobilise pour cela 1,4 milliard de dinars d'aide directe à travers l'effacement de dettes et crédits à taux nul, nous pouvons à la limite le comprendre. Mais là où rien ne va plus, c'est lorsque l'Etat actionnaire tente de tuer les transformateurs privés du liège pour ressusciter les acteurs publics. Le décret du 05 septembre 1989 garantit l'accès égal à tout le monde pour l'approvisionnement en liège. La récolte est cédée par lot en adjudication. En piétinant cette disposition, on a condamné la filière à la mort. -Quel poids économique représente votre collectif dans la région en termes d'emplois directs et indirects ? Y a-t-il de la place pour tous les opérateurs dans cette filière privée et publique ? Le poids économique en termes d'emploi est fonction de la disponibilité de la matière première. Il représente actuellement en termes d'effectif, 1000 travailleurs directs et indirects. Dans la seule entreprise que je dirige, la SARL Wiam de la petite Kabylie, nous avons 150 travailleurs en poste, qui ne savent pas ce qu'ils vont devenir en janvier prochain lorsque nos stocks actuels de liège seront épuisés. Il est évident qu'avec les niveaux de récolte actuelle, nous nous trouvons en surcapacité (public et privé). Avec une quantité de production de liège des années 80/90, les effectifs seraient de 8000 travailleurs directs et indirects. -On comprend bien par vos réponses que l'Etat propose une mauvaise solution à un vrai problème, la chute de la production algérienne de liège. Quelles sont les raisons de cette chute ? Peut-on envisager une solution où les transformateurs participent à la promotion et à la préservation de la subéraie du chêne-liège en Algérie ? La production du liège s'est en effet divisée par huit depuis trente ans en passant de 25 000 tonnes à seulement 3000 tonnes. L'Algérie était le second producteur méditerranéen derrière le Portugal. Dernière aujourd'hui. Cette situation résulte, d'une part, de la mauvaise organisation de la récolte, et d'autre part du non-parcours de l'ensemble des surfaces à récolter, une situation aggravée par les feux de forêts. La participation des transformateurs à la préservation et la promotion du chêne-liège est parfaitement envisageable. Elle est même souhaitable compte tenu de la dégradation des récoltes. Elle devrait se faire dans le cadre d'une concertation avec les pouvoirs publics et une clarification des actions à entreprendre. -Comment comptez-vous opérer pour amener les pouvoirs publics à reconsidérer cette décision du CPE ? Avez-vous un canal de discussion avec les deux ministres concernés par votre filière, celui de l'agriculture et celui de l'Industrie ? Vous savez, les huit transformateurs qui ont signé la lettre adressée au premier ministre ont tous choisi d'investir sur la base de textes qui garantissent l'accès à la matière première. Nous avons pour la plupart d'entre nous été pressés par les pouvoirs publics pour accroître nos capacités de production à la fin des années 90 lorsque se jouait la bataille décisive du développement local face à la dérive du terrorisme. Aujourd'hui, la moindre des choses est d'établir le dialogue avec nous avant d'engager des décisions destructrices pour l'ensemble de la filière. Nous avions un espoir de concertation avec la création du Conseil interprofessionnel du liège (CNIL) mais ce dernier, lourd dans son fonctionnement et dirigé par l'administration, n'est pas efficace. Une interface plus dynamique devrait être envisagée avec une participation égale entre administration et transformateurs. Mais l'urgence aujourd'hui est de nous faire entendre par les décideurs économiques au premier ministère, mais aussi aux deux ministères de l'Industrie et de l'agriculture, pour que la filière ne s'arrête pas dans un mois ou deux, faute de liège à transformer.