Parmi les communications, la plus en vue de ce colloque a été celle de Farida Seddik, architecte et docteur en urbanisme, sur le thème : «Transformations sociétales et urbaines à Alger : quel lien entre ville et politique ?» La conférencière décrit son étude comme une «tentative d'articulation entre l'urbanisation et la violence politique vécue depuis le début des années 1990. (…) Les événements tragiques qui ont secoué le pays sont à l'origine de ce questionnement, avec un grand désir de comprendre les transformations sociétales et urbaines en cours.» Farida Seddik fait remarquer à ce propos que «l'urbanisation est un phénomène complexe, résultat d'interactions sociales de natures diverses mais toujours politiques», précisant que «ces interactions expriment des positions de pouvoir, des luttes plus ou moins ouvertes pour les meilleures positions». Le matériau principal sur lequel repose cette étude est l'analyse de la corrélation entre les élections de 1990, qui ont porté le FIS aux municipales, et le tissu urbain «illicite» qui lui a servi de vivier électoral, notamment dans la banlieue est de la capitale. Pour elle, «le processus d'urbanisation est aussi un processus de mise en place d'un ordre social. Dans la quête de cet ordre, à partir de référents traditionnels revisités, un mouvement profond a secoué la société, et s'est ancré d'une manière visible dans certains quartiers». A la suite du sociologue Abdelkader Lakjaâ, elle aborde le «désordre urbain» comme la partie visible d'un «ordre caché». Farida Seddik opère au préalable un flash-back historique pour comprendre les strates sociales incrustées dans l'organisation urbaine. Elle note qu'une mixité sociale caractérisait l'occupation des biens vacants aux premiers mois de l'indépendance. Très vite, les premiers clivages s'annoncent : aux familles apparentées aux clans du pouvoir les quartiers chic, tandis que les migrants du monde rural s'installent dans les quartiers défavorisés. A partir de 1974, à la faveur des réserves foncières communales, une ségrégation se met en place, relève-t-elle. «Les collines du sud-ouest d'Alger accueillent les cadres de l'administration et autres populations aisées liées aux réseaux du pouvoir». Parallèlement, «la périphérie est de la Mitidja accueille les plus gros programmes de logements collectifs». Pour l'urbaniste, c'est le début d'un «peuplement différencié» : «Les populations des classes dominantes sur les collines sud et sud-ouest, les classes moyennes dans les ensembles collectifs ZHUN, sur la plaine est.» Mais dans cette partie de la Mitidja (Baraki, Eucalyptus, etc.), terres agricoles par excellence, «le processus (d'urbanisation) ne sera pas entériné par l'administration.» Aussi, ces habitations garderont-elles longtemps le statut de «bina fawdhawi» (constructions illicites). «L'urbanisation spontanée se place aux abords des cités construites par l'Etat, accueillant des classes moyennes d'Alger non intégrées dans les réseaux du pouvoir». Une gestion urbaine «patrimonialiste» Les années 1980, poursuit Farida Seddik, connaîtront une accentuation de cette ségrégation. «Les tensions sociales finiront par s'exacerber et l'espace urbain va exprimer par sa nature ségrégative ces tensions», indique-t-elle. «Quartiers aisés et centraux et quartiers périphériques du sud et du sud-ouest s'opposent par les populations et caractéristiques de leur habitat, aux quartiers de la périphérie est, issus globalement de l'urbanisation spontanée illicite». Ces quartiers, souligne la conférencière, ont systématiquement voté FIS en 1990, pour sanctionner les clans du pouvoir. «Sans surprise, les quartiers centraux dégradés, où toute possibilité de promotion résidentielle est ‘‘bloquée'' et la périphérie est spontanée ont principalement porté ce choix.» Selon cette étude, «le déploiement de l'illicite se situe dans le cadre d'un usage du droit à la ville par les habitants en réponse à une situation de défaillance de l'Etat à octroyer ce droit.» L'hypothèse de Farida Seddik est que les habitants des constructions dites «illicites» ont pris le parti des islamistes par pragmatisme en ce qu'ils ont trouvé en eux une «légitimation de leurs pratiques d'installation urbaine, morcellement et autre vente de terrains sous seing privé en présence de témoins et sous la bénédiction de Dieu». «La référence puise au répertoire religieux et dans le droit coutumier», poursuit-elle, considérés comme «plus sacrés que les lois foncières de l'Etat, d'autant qu'il est le dernier à les respecter». L'urbaniste note, par ailleurs, que «la question du logement a été centrale dans le discours de propagande des leaders islamistes». Et de développer : «Les frustrations provoquées par une gestion urbaine ‘‘patrimonialiste'' où les responsables de la gestion des terres et du logement se comportaient comme si c'était un patrimoine propre qu'ils redistribuent à leurs réseaux divers, s'ajoutent à celles provenant des autres problèmes socio-économiques». «Du point de vue des luttes pour l'installation urbaine, l'islamisme a ainsi permis la légitimation de pratiques économiques informelles nombreuses dans ces quartiers, qui ne versent pas d'impôts à l'Etat. Le discours des islamistes permet de garder bonne conscience, lui qui déclare les lois du pays iniques et non conformes à la religion».