Les dirigeants ouest-africains veulent le déploiement d'une force internationale militaire pour reconquérir le Nord-Mali, en reléguant au second plan toute initiative politique qui amènerait Bamako, Ançar Eddine et le MNLA à la table des négociations afin de chasser les groupes terroristes. Rendu public hier, le communiqué des dirigeants de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) lève le voile sur l'intention des uns et des autres. Ainsi, tout en réitérant que «le dialogue reste l'option préférée dans la résolution de la crise politique au Mali», l'organisation régionale estime toutefois que «l'usage de la force s'avère indispensable contre les réseaux terroristes et de criminalité transnationale qui menacent la paix et la sécurité internationales». Comment, dans quelles conditions et à quel prix, cette guerre sera-t-elle menée et contre qui va-t-elle être dirigée ? Des questions qui ne trouvent pas de réponses dans le communiqué final de la Cédéao, dont les dirigeants ont inventé puis adopté le «concept harmonisé des opérations pour le déploiement de la force internationale», pour ne pas dire tout simplement une intervention militaire étrangère. Lors de sa conférence de presse animée à l'issue du sommet de Abuja, dimanche dernier, le président ivoirien, Alassane Ouattara, président en exercice de la Cédéao, a tenté d'apporter quelques éclaircissements : «Nous prévoyons 3300 soldats pour une période d'un an (…). Ces troupes viendraient essentiellement du Nigeria, du Niger et du Burkina Faso, et qu'il pourrait aussi y avoir une contribution venant d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest et de certains pays non africains (…). Ces soldats pourraient être déployés dès validation par l'ONU de ce projet d'intervention militaire.» Le président ivoirien a exprimé son souhait de voir ce «concept» adopté vers fin du mois de novembre ou au plus tard, en décembre, «afin de permettre aux troupes d'être sur le terrain quelques jours plus tard». Dans leur déclaration finale, les dirigeants ouest-africains ont demandé «au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine d'entériner ledit concept et d'en assurer la transmission au secrétaire général des Nations unies dans les délais prescrits par la Résolution 2071». Ils ont exhorté «le Conseil de sécurité des Nations unies à procéder à l'examen diligent de ce concept en vue d'autoriser le déploiement de la force militaire internationale au Mali conformément au chapitre VII de la Charte des Nations unies». Dans la foulée, et «tout en reconnaissant le rôle de premier plan du Mali dans les efforts militaires et diplomatiques visant à restaurer l'ordre constitutionnel ainsi que l'unité et l'intégrité territoriale», ils ont mis l'accent sur le rôle de leadership de la Cédéao dans le déploiement de cette force, sous conduite africaine, ainsi que dans «le commandement et la mobilisation des ressources en étroite collaboration avec l'Union africaine et les Nations unies». Chose importante qu'ils ne précisent pas, est le volet financier de cette opération parce que jusqu'à maintenant aucun pays ne s'est déclaré prêt à assumer le coût d'une telle opération et encore moins à assurer la gestion d'un contingent de 3300 hommes entre Ouest-Africains et étrangers. Mieux.A ce jour, seuls quelques pays ouest-africains ont précisé le nombre (très dérisoire) de soldats qu'ils sont prêts dépêcher au Mali. Parmi eux, le Burkina Faso, qui mobilise 150 hommes, le Niger n'envoie pas de troupes, mais mobilise quelque 600 à 900 hommes le long de sa frontière avec le Mali, afin d'éviter toute incursion sur son territoire, le Togo, le Nigeria, le Sénégal (qui dit dépêcher des hommes du génie ou des policiers), le Cap-Vert (qui envoie des médecins) et le Tchad. Par contre, de nombreux Etats restent réticents à l'idée d'impliquer leurs armées. C'est le cas de la Côte d'Ivoire, qui préside la Cédéao, (qui elle-même abrite des troupes de l'ONU), du Sénégal, déjà contributeur dans d'autres missions de paix, et du Liberia. Par ailleurs, de nombreux voisins directs du Mali rejettent toute intervention militaire et refusent d'engager leurs troupes sur le terrain. C'est le cas de la Mauritanie, de l'Algérie, mais aussi de la Tunisie et de la Libye. Pour tenter de réunir rapidement ces contingents, la Cédéao a «réitéré», dans sa déclaration, ses «instructions à la commission pour le maintien de la force en état de préparation avancée, en prévision d'un déploiement imminent ». Elle a surtout exhorté «les Etats membres à honorer leurs engagements relatifs à la fourniture de troupes et de logistique». Tout esprit de dialogue totalement écarté Il est important de relever que le tout nouveau «concept» d'intervention militaire entériné par la Cédéao a relégué au second plan le volet politique de la crise malienne. Dans sa déclaration, elle n'a fait que «prendre acte» de la déclaration du président malien par intérim, selon laquelle «la feuille de route de transition sera disponible dans les prochains jours», tout en exhortant le gouvernement du Mali «à expédier les actions à ce sujet et à en assurer la mise en œuvre scrupuleuse visant à assurer le rétablissement de l'autorité de l'Etat sur toute l'étendue du territoire, ainsi que la tenue d'élections libres, justes et transparentes, durant la transition». A la fin, les dirigeants ouest-africains n'ont pas manqué, quand même, de réitérer leur décision selon laquelle ni le président par intérim ni le Premier ministre et les autres membres du gouvernement de transition ne pourront être candidats à la prochaine élection présidentielle. Ils ont «invité» les autorités de la transition à procéder, avec diligence, à la mise en place du comité national chargé de conduire, avec la facilitation du médiateur, le dialogue interne entre les différentes parties prenantes à la transition», mais aussi, et c'est troublant, avec «les groupes armés non impliqués dans les activités terroristes et criminelles et qui acceptent, sans condition, de reconnaître l'unité et l'intégrité territoriale du Mali ainsi que le caractère laïc de l'Etat». Mais si ces groupes sont exclus de la reconquête du Nord-Mali, dans quel but seront-ils associés au dialogue avec Bamako ? La question reste posée d'autant que les deux organisations, le MNLA et Ançar Eddine, rejettent toute intervention militaire étrangère au Nord et dénoncent toute exclusion d'une quelconque action militaire dont ils pourront faire l'objet. Quelle sera leur réaction maintenant que le ce nouveau «concept harmonisé des opérations pour le déploiement de la force internationale» les a totalement écartés ? C'est à la fin que la Cédéao a eu une pensée aux milliers de victimes prises en étau entre le diktat des nouveaux prophètes et djihadistes et le poids de la misère et du sous-développement. La Cédéao n'a fait que «réitérer ses préoccupations face aux flagrantes violations des droits humains et humanitaires dans les territoires occupés ainsi qu'aux conséquences humanitaires qui pourraient résulter du déploiement envisagé». Elle a appelé les agences humanitaires et la communauté internationale à continuer d'apporter leur assistance au Mali et aux autres pays affectés de la région. Force est de constater qu'au sein de la Cédéao, c'est l'option la plus dangereuse et la plus coûteuse en vies humaines qui a été retenue. Dans le cas où elle aura un mandat onusien, elle ne fera qu'aggraver avantage la situation, déjà extrêmement complexe et compliquée et fermera toutes les portes du dialogue difficilement entrouvertes par le MNLA et Ançar Eddine, principaux acteurs sur lesquels l'armée malienne aurait pu compter pour chasser les terroristes du Nord. Mais dans tout ça, est-ce que cette armée veut chasser les groupes terroristes ou les Touareg ? La question reste posée.