Comment se débarrasser des centaines d'Algériens en situation irrégulière, devenus trop encombrants pour les 80 000 habitants de l'enclave espagnole ? Pour la Délégation du gouvernement de Melilla, la solution semble être toute trouvée : jouer la carte de l'usure, de l'écoulement du temps. Irene Flores Sáez, sa directrice de la communication, l'a presque avoué lorsque, interrogée sur les véritables motivations qui se dissimulent derrière le niet opposé par la Délégation à toutes demandes de laissez-passer émises par les 300 nationaux pensionnaires du Centre de séjour temporaire pour étrangers (CETI), nous a déclaré : «Pour la Délégation, les Algériens ne sont pas une priorité. Ils finiront tous par quitter d'eux-mêmes Melilla.» Rejetant en bloc toutes les accusations de discrimination et de maltraitance dont sont victimes nos compatriotes à l'intérieur du CETI, pourtant reconnues et dénoncées par les ONG internationales représentées à Melilla et les associations de défense des droits des migrants locales, Mme Flores Sáez n'a pas hésité, dans un langage allusif, à appeler les clandestins algériens à emprunter le chemin de l'illégalité pour retourner dans leur pays : «Les Algériens arrivent à Melilla via les frontières terrestres avec de faux passeports marocains, ils n'ont qu'à retourner chez eux par les mêmes moyens, le même mode opératoire.» Ce que l'on pouvait trouver pervers dans les déclarations des officiels du gouvernement autonome de Melilla, c'est que d'un côté, ils crient à qui veut bien les entendre que le CETI est en surpopulation, plus de 800 migrants pour des capacités initiales de 330 places, de l'autre, ils demeurent étanches aux demandes de ce que les migrants appellent la «salida» (sortie). Un document à même d'assurer leur transfert vers la péninsule avec le droit de circuler pendant six mois sur l'espace Schengen, au-delà, ils sont tenus de retourner, à leurs charges, dans leurs pays d'origine. Cette attitude ambivalente à l'égard des migrants, s'explique aux yeux de Mme Flores Sáez par des raisons purement économiques. Car, au plan politique, l'Espagne serait jusque-là satisfaite des résultats des accords de réadmission conclus avec nombre de pays d'origine des 1 438 migrants arrivés à Melilla au 30 septembre 2012 et les 1 940 autres de toute l'année 2011. S'agissant des nationaux, la plus grande communauté au CETI, suivie de la République démocratique du Congo (RDC), du Cameroun, du Nigeria et de la Côte d'Ivoire et de la Guinée, la mise en œuvre de l'accord bilatéral signé entre Alger et Madrid le 31 juillet 2002 a permis le rapatriement de 1 688 clandestins. Les deux pays se sont toujours félicités par canaux diplomatiques interposés, de leurs performances respectives dans la lutte contre l'émigration clandestine. «Le rapatriement des Algériens est certes facile, les autorités consulaires nous aident beaucoup dans leur identification, mais cette opération revient très cher à notre pays qui, comme vous le savez, est au cœur d'une sévère crise», tient à souligner la proche collaboratrice du délégué du gouvernement espagnol à Melilla, Abdelmalik El Berkani, d'origine marocaine. Pour elle, l'Espagne, déjà fragilisée par ses graves soucis économiques internes, a de plus en plus de mal à faire de la place pour les migrants, à supporter le poids de leur prise en charge ou de leurs rapatriements. En chiffres, elle précisera que plus de la moitié sur un budget de 50 millions d'euros, destinés aux étrangers, actuellement en débat, seront affectés au rapatriement des migrants illégaux. Scellé, le destin de cette population, hors-la-loi et sans aucune perspective d'avenir, est maintenant entre les mains des administrations et des services de sécurité, dotés de pouvoirs discrétionnaires.