L'annonce par l'Afrique du Sud de la reconnaissance de la RASD a sonné comme un coup de tonnerre dans le ciel africain. Le coup de gueule de Thabo M'Beki marque l'exaspération des chefs d'Etat africains par rapport au dernier confit de décolonisation en Afrique qui n'a que trop duré, semé des zizanies diplomatiques, perturbé l'Union africaine et freiné des initiatives de développement régional et continental. Les coïncidences qui ont accompagné le coup d'éclat sud-africain signifient qu'un compte à rebours a été déclenché. L'annonce de Pretoria a été faite au moment de la visite à Alger de l'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU, Alvaro De Soto qui a affirmé qu'il était mandaté pour trouver une solution « reposant sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui ». Elle a également coïncidé avec une conférence de presse de l'ambassadeur sahraoui à Alger qui informe l'opinion internationale sur la répression exercée dans les territoires sahraouis. Au même moment, Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères, déclare que le plan Baker est une « référence » mais il n'est pas « sacro-saint ». Le 31 octobre prochain, le Conseil de sécurité de l'ONU doit réexaminer la situation selon le nouveau rapport qui sera présenté par Kofi Annan, et décider la fin ou la reconduction de la mission de la Minurso. Il y a de fortes chances que le Conseil adopte une nouvelle résolution pour déclarer le plan Baker caduc, puisque le Maroc s'entête à refuser son application, contrairement au Front Polisario, l'Algérie et la Mauritanie qui l'ont accepté. Si l'ONU décide d'enterrer le plan Baker, le grand perdant sera le Maroc. Jamais un nouveau plan ne lui sera aussi favorable. Que prévoit le plan Baker ? Depuis le cessez-le-feu entré en vigueur le 6 septembre 1991, l'ONU n'a ménagé aucun effort pour parvenir à un règlement du conflit. Après être parvenu aux accords de Houston en septembre 1997 pour identifier le corps électoral sahraoui, l'ex-représentant spécial de l'ONU, James Baker, avait proposé un plan de règlement basé sur une période d'autonomie de cinq ans suivie d'un référendum d'autodétermination sur le statut définitif du territoire. Après l'avoir dénoncé et avoir émis de nombreuses réserves dans leurs mémorandums adressés à l'ONU au début de l'année 2003, le Front Polisario et l'Algérie ont fini par accepter de signer le document auquel la Mauritanie a souscrit sans aucune réserve. Cependant, tous les efforts déployés pour mettre en œuvre ce plan ont buté contre l'intransigeance marocaine qui juge le référendum « obsolète et inapplicable ». Que prévoit le plan Baker ? « Le plan de paix pour l'autodétermination du peuple du Sahara-Occidental est un accord conclu par et entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario (qui sont les parties intéressées), auxquels se joignent la République démocratique populaire d'Algérie et la République islamique de Mauritanie (qui sont les pays voisins) et l'Organisation des Nations unies. Ce plan a pour but de trouver au conflit au Sahara-Occidental une solution politique assurant l'autodétermination, comme l'envisage le paragraphe 1 de la résolution 1429 (2002) du Conseil de sécurité des Nations unies en date du 30 juillet 2002. Il entrera en vigueur à la date où les parties intéressées, les pays voisins et l'Organisation des Nations unies l'auront tous signé... Un référendum visant à déterminer le statut définitif du Sahara-Occidental sera organisé au plus tôt quatre ans et au plus tard cinq ans après la date d'entrée en vigueur du plan. » La sémantique des mots choisis par James Baker est importante. Il n'y a plus de « parties en conflit », mais des « parties intéressées ». Par ailleurs, l'Algérie et la Mauritanie, nommées « pays voisins », ne seront plus impliquées en quoi que ce soit dans le règlement du conflit. Ils s'excluent du processus dès son entrée en vigueur qui prévoit un partage du pouvoir entre les deux parties en conflit sous l'arbitrage de l'ONU. 1) Le Maroc exercera le pouvoir de souveraineté, le pouvoir régalien et le pouvoir militaire : drapeau, monnaie, douanes, postes et télécommunications, relations extérieures, sécurité nationale et défense extérieure, toutes les questions relatives à l'emploi d'armes et d'explosifs, défense de l'intégrité du territoire contre toute tentative sécessionniste. 2) L'autorité du Sahara-Occidental exercera le pouvoir exécutif par un chef de l'Exécutif et le pouvoir législatif par une assemblée législative. Les deux institutions sont élues par le « peuple du Sahara-Occidental », c'est-à-dire les électeurs sahraouis recensés par l'ONU. Le pouvoir sera exercé par une Cour suprême et par les tribunaux inférieurs, dont les membres seront nommés par le chef de l'Exécutif avec l'assentiment de l'assemblée législative. L'autorité du Sahara-Occidental aura sous sa responsabilité les domaines suivants : administration locale, budget territorial, fiscalité, développement économique, sécurité intérieure, maintien de l'ordre, protection sociale, culture, éducation, commerce, transports, agriculture, mines, secteur de la pêche, industrie, environnement, logement et aménagement urbain, eau et électricité, réseau routier et équipement. 3) L'organisation des Nations unies est investie d'une autorité exclusive et unique sur toutes les questions relatives à l'organisation de toute élection et du référendum. Il est donc clair que le plan Baker a élaboré un système de pouvoir décentralisé et autonome sous souveraineté marocaine, à charge pour le royaume de convaincre les Sahraouis de voter pour demeurer citoyens marocains. On ne peut vraiment rêver de meilleur scénario. La diplomatie marocaine n'a pas réussi à ouvrir les yeux sur ce cadeau consenti par la communauté internationale parce qu'elle reste figée sur trois complexes fixateurs. Les fixations marocaines Depuis des années, la diplomatie et la presse marocaine font une fixation sur le pays frère et voisin qu'est l'Algérie en voulant l'impliquer coûte que coûte dans des négociations directes. Pourtant, la diplomatie algérienne tient un discours constant et sans faute prouvant qu'elle ne nourrit aucune animosité envers les voisins marocains. M. Belkhadem a encore répété à M. De Soto que « l'Algérie n'est ni le tuteur, ni le porte-parole des Sahraouis que les parties en conflit sont le Front Polisario et le Royaume du Maroc ». Le chef de la diplomatie algérienne a réaffirmé que « l'Algérie s'en tenait au plan de règlement, à la légalité internationale et à l'accord de paix qui a été adopté par les Nations unies ». Le discours du pouvoir algérien est catégoriquement clair : l'Algérie ne se sent plus concernée par le problème sahraoui, qui est un problème de l'ONU. A la fixation stérile de la diplomatie marocaine, s'ajoute une hystérie collective de la presse marocaine qui ne surprend plus, alors qu'elle ferait mieux de se regarder le nombril et de traiter le problème avec un minimum d'objectivité et d'intelligence. Les accusations de « politique d'hégémonie et d'expansion territoriale des gouvernants algériens » fait pleurer de rire. Le Sahara-Occidental est un territoire quasi désertique de 266 000 km2 peuplé de 300 000 personnes, dont la frontière commune avec l'Algérie est inférieure à 50 km. Le Maroc peut absorber le territoire sahraoui sans faire sourciller l'Algérie. Même en annexant la Mauritanie et le Sénégal, le royaume n'atteindra pas la superficie du territoire algérien. Quant à la volonté d'accès à l'Atlantique, c'est une rigolade géographique. Si l'Algérie envisage un jour d'exporter ses hydrocarbures par l'Atlantique, le plus court chemin passe par le Maroc qui aurait tout à y gagner. La deuxième fixation du Maroc, c'est ce refus de négocier avec le Front Polisario. Si le Maroc estime que les Sahraouis sont marocains, quel mal y a-t-il donc à laver son linge sale en famille ? C'est ce blocage méprisant du Maroc vis-à-vis du Front Polisario qui lui a valu le camouflet que vient de lui infliger Thabo M'Beki, en attendant d'autres. La troisième fixation est cette peur obsessionnelle du référendum d'autodétermination. Si, comme persiste à le répéter la diplomatie et la presse marocaines, les Sahraouis sont marocains, pourquoi avoir peur de leur vote ? Ou bien est-ce carrément dû à un reniement royal du droit de vote des sujets de Sa Majesté ? Ou bien encore a-t-on peur du verdict des urnes parce qu'elles seront contrôlées par l'ONU, donc peu susceptibles de fraude ? Après plusieurs années de patience face aux manœuvres dilatoires du Maroc, un compte à rebours pour l'application ou la renonciation au plan Baker a bel et bien été enclenché. A la date fatidique du 31 octobre s'ajoute celle du 2 novembre, celle de l'élection présidentielle américaine. Lorsque le géant de la diplomatie mondiale donnera son point de vue, une nouvelle proposition de règlement risque de voir le jour. Et rien n'assure qu'elle sera cette fois favorable au Maroc. Au mieux, l'ONU peut forcer l'organisation du référendum dans un délai plus court que celui du plan Baker. Au pire, on assistera à un nouveau statu quo qui va durer des années, au risque de bloquer tout développement d'intégration maghrébine. Cette hypothèse ne déplaît pas, malheureusement, aux grandes puissances.