Le royaume a commencé avec Abdallah et finira avec Abdallah.» Et si l'adage que se plaisent à répéter les réfractaires à la monarchie jordanienne disait vrai ? Au rythme d'«Allah, Allah, que tombe Abdallah !», la rue jordanienne est secouée par des manifestations et des grèves contre la cherté de la vie. Fait inédit : la rue arabe veut venir à bout de la monarchie hachémite. Pour sûr, le roi de Jordanie est dans une situation peu confortable. La plupart des analystes arabes et occidentaux s'interrogent sur la manière dont il pourra s'extirper d'une grave crise économique et politique. La Jordanie est peut-être un petit pays, n'ayant pas de grandes ressources, mais elle dispose d'un poids considérable en raison de sa position géopolitique : entourée par Israël qui bombarde actuellement la bande de Ghaza, la Syrie en proie à une guerre civile et l'Irak qui ne se remet pas encore de l'invasion américaine, elle jouit du soutien des Etats-Unis et des monarchies du Golfe. Vulnérabilité Mais le royaume hachémite est aussi très vulnérable, dépendant du soutien de ses alliés. Depuis le début des premiers soulèvements populaires – voilà déjà deux ans – le roi Abdallah II gère difficilement la crise, se contentant de changer de gouvernement (quatre depuis janvier 2011), promettant des réformes qui tardent à voir le jour, traitant les opposants de voyous (baltaguia) et surveillant de près le destin de la Syrie voisine. De l'autre côté, la colère gronde. Les manifestations, entamées vendredi, sont liées au fait que le gouvernement ait décidé, mardi dernier, d'augmenter les prix de l'énergie – 53% pour le gaz domestique et 12% pour l'essence – afin de faire face à un déficit budgétaire de 5 milliards de dollars. Mais les plaies sont bien plus profondes. La rente internationale, qui permettait au roi Hussein de calmer les esprits, notamment dans le sud, s'amenuise et le pays se dirige vers une très grave crise économique qui pourrait aboutir à un prêt auprès du Fonds monétaire international. Le fait est que la main-d'œuvre jordanienne – d'origine palestinienne – qui garantissait des revenus réguliers à de nombreuses familles a été remplacée, dans les grands chantiers des Etats du Golfe, par celle asiatique. L'immobilier a flambé dès 2003, en raison, entre autres, de l'afflux des millionnaires irakiens à cause de la guerre. Et les scandales de corruption apportent un coup de massue et mettent le moral des Jordaniens en berne. La colère des tribus Depuis l'intronisation de la famille royale hachémite en Jordanie, les tribus trans-jordaniennes, qui forment l'essentiel de l'armée, dénoncent la corruption du palais. La protestation a ainsi gagné toute la Jordanie : le Nord, réputé pour son hostilité à l'égard des Hachémites, est de plus en plus dominé par les frères musulmans. Au Sud, jadis acquis au pouvoir, le mécontentement a été exacerbé par le rassemblement des 36 tribus réclamant que l'Etat restitue leurs terres aux Hajayas et la population d'origine palestinienne, qui représente l'essentiel de la main-d'œuvre en Jordanie, demande une participation au pouvoir. Avant Abdallah II, le roi Hussein avait eu à subir le mécontentement des populations. Il s'en était sorti grâce à l'appui des tribus, de ses alliés internationaux et de quelques concessions. La tâche semble plus ardue pour le roi Abdallah II qui, contrairement à son père, n'a jamais bénéficié d'une grande estime de son peuple qui ne voit en lui que l'éducation britannique de sa mère. Aujourd'hui, les Etats-Unis ne semblent pas prêts à abandonner le roi hachémite. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, s'est empressée de «saluer la feuille de route du roi pour les réformes politiques ainsi que les efforts de réforme économique menés par le gouvernement». Pour Mme Clinton, ces réformes constitueraient «un mal nécessaire». La révolte sera-t-elle désamorcée ? Ce soutien fait, en tout cas, penser que le royaume hachémite pourra peut-être désamorcer les tentatives de révolte. Le fait est, par ailleurs, qu'un soulèvement en Jordanie pourrait être explosif dans la région, d'autant que la Syrie voisine est à feu et à sang. Certains analystes laissent suggérer qu'Israël ne souhaite pas un changement en Jordanie. Ils supposent que des discussions seraient en cours sur une installation définitive des réfugiés palestiniens en Jordanie, qui serait financée par Doha. Ils en veulent pour preuve la réunion entre Khaled Mechâal, dirigeant du Hamas palestinien, un émissaire du Qatar et le roi Abdallah en janvier 2012. En bon stratège, la puissante organisation des Frères musulmans jordaniens ne réclame pas le départ du roi, mais espère une place plus importante sur l'échiquier politique jordanien. Ayant décidé de boycotter les élections législatives, elle demande au roi de faire de véritables réformes politiques dans le pays, afin de renforcer leur poids politique. Chiffres : -L'Arabie Saoudite a versé, fin 2011, 1,4 milliard de dollars au royaume hachémite -La Jordanie compte 6,8 millions d'habitants -1 milliard de dollars par an est le montant de l'aide américaine à la Jordanie -Les réserves de devises étrangères ont fondu de moitié cette année pour s'établir à 10 milliards de dollars -Le déficit budgétaire a bondi pour atteindre un nouveau record de 3 milliards de dollars et les dettes ont gonflé de 20% en 2012