Redoutant des soulèvements populaires, similaires à ceux qui ont provoqué des changements de régimes en Tunisie et en Egypte, ou qui ont déstabilisé des pays comme c'est le cas en Libye, au Yémen et en Syrie, les rois et émirs du Golfe veulent agrandir leur club, afin de conclure des accords visant à anticiper tout mouvement contestataire. Tirant rapidement des conclusions des derniers événements ayant secoué le monde arabe, les monarchies du Golfe, qui se sont serré les coudes en matant la rébellion au Bahreïn à travers une intervention militaire, notamment saoudienne, les rois et émirs des monarchies du Golfe cherchent à se prémunir de ces révoltes populaires. L'invitation adressée aux rois Abdallah II de Jordanie et Mohammed VI du Maroc, dont les royaumes sont les seuls à ne pas faire partie de leur club, pour intégrer le Conseil de Coopération du Golfe (CCG), est loin d'avoir des objectifs économiques, mais plutôt politiques avec des visées bien précises. C'est du moins l'avis de certains spécialistes du monde arabe. Il faut croire que l'invitation lancée le 10 mai dernier à la Jordanie et au Maroc pour rejoindre ce groupement régional, qui regroupe l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et Qatar, en a surpris plus d'un. En effet, ce ne sont pas les obstacles qui manquent pour une intégration du Maroc et de la Jordanie, économiquement pauvres avec un PIB respectif de quelque 92 et 27 milliards de dollars, soit moins de 9% du PIB des monarchies du Golfe, comme le relève le directeur du Gulf Research Center, Abdel Aziz Saqr. L'arrivée de plus de trente millions de Marocains et de près de sept millions de Jordaniens va quasiment doubler la population du CCG, actuellement de moins de 40 millions d'habitants, “ce qui ne manquera pas d'aggraver le problème du chômage, notamment en Arabie Saoudite où il touche 30 à 40% des jeunes”, d'autant plus que le CCG prévoit en effet la libre circulation des personnes, affirme Ibrahim Sharqieh, directeur adjoint du Brookings Doha Center. Le Maroc et la Jordanie, confrontés à un taux de chômage élevé, sont en outre importateurs nets de pétrole, principale richesse du CCG. Le fait que le Maroc et la Jordanie aient fait l'expérience d'un multipartisme interdit chez leurs futurs partenaires du Golfe, constitue un autre handicap sur le plan politique, indique la même source. Tout en soulignant comprendre une adhésion de la Jordanie, pays voisin immédiat de l'Arabie Saoudite et important partenaire commercial du CCG, l'expert estime que l'offre faite au Maroc, géographiquement éloigné du Golfe, “a été précipitée par la vague des révoltes arabes”. De son côté, l'éditorialiste saoudien Daoud al-Chariane déclarait dimanche dans le quotidien arabe Al-Hayat que le projet d'un élargissement du CCG, annoncé sans aucune étude préalable ou consultation populaire, “a été accueilli avec beaucoup d'inquiétude” par l'opinion publique du Golfe. L'analyste koweïtien Aïed al-Mannaa ne cache pas sa peur de l'échec en affirmant : “Je crains qu'un CCG à huit, ne connaisse le même sort que la Déclaration de Damas”, lorsque le CCG avait été brièvement élargi à la Syrie et à l'Egypte après leur participation à la libération du Koweït en 1991 de l'occupation irakienne. Ceci amène Ibrahim Sharqieh à dire que “les bouleversements qui secouent le monde arabe, et qui risquent d''y entraîner la région du Golfe, sont la principale raison de cette décision surprise”. Il explique son point de vue en affirmant que le CCG, un club fermé depuis sa création en 1981,“entend établir une coordination entre les huit monarchies arabes pour faire front commun face aux révoltes qui ont bouleversé jusqu'ici principalement des Républiques.” Il s'interroge sur l'objectif de cette coordination en se demandant si c'est pour “réprimer toute velléité de changement, avec l'aide du Maroc et de la Jordanie qui ont une solide expertise sécuritaire et militaire, ou introduire des réformes en tirant profit de l'expérience politique de ces deux pays”. L'inquiétude qu'affichent les rois et émirs des monarchies du Golfe vis-à-vis de la contestation qui agite le Yémen, parent pauvre de la Péninsule arabique qui a sans succès demandé à faire partie du groupe régional, renseigne sur leurs intentions. Ceci étant, les monarques du Golfe redoutent surtout l'Iran, qui a intensifié sa campagne hostile après le déploiement en mars de leur force commune à Bahreïn pour l'aider à mater la contestation animée par des chiites, majoritaires dans ce pays. Ils se méfient également des Etats-Unis, qui ont une forte présence militaire dans la région, après la chute des régimes tunisien et égyptien, des alliés de Washington.