Pourquoi après plus d'un siècle chargé de ruptures allant de l'écroulement du makhzen turc à la colonisation de peuplement, de la désagrégation de la tribu à la dépossession foncière, de la domination coloniale au triomphe du nationalisme, de la «révolution socialiste» à la umma, le fait tribal s'avère-t-il aussi prévalent dans l'Algérie de Bouteflika ? Le politologue Mohamed Hachemaoui a publié en mars dernier dans les Cahiers d'études africaines «Y a-t-il des tribus dans l'urne ? Sociologie d'une énigme électorale», une étude qui entend démontrer, d'abord, la prégnance du tribalisme sans tribu. Et qui s'emploie à montrer, ensuite, la prévalence du clientélisme politique et de la corruption électorale ; l'hybridation des trois répertoires présidant à la fabrique du politique en situation autoritaire. En voici un extrait.
Dans son étude (voir papier ci-contre), Mohammed Hachemaoui a appréhendé le puzzle tribu/politique à Tébessa. Quatre raisons ont motivé ce choix. «La première est inhérente au fait tribal : Tébessa est un bled anciennement tribal, explique-t-il. La deuxième est immanente au pouvoir d'Etat : Tébessa est l'angle droit du fameux triangle du «BTS» (Batna-Tébessa-Souk Ahras) dans lequel se recrutait une bonne partie de l'élite dirigeante des années 1980 et 1990. La troisième est liée à l'intensité du jeu social : aucun parti politique, pas même la machine électorale du régime qui s'octroie ailleurs la majorité des bulletins, n'est parvenu, depuis le retour aux élections législatives en 1997, à obtenir, dans la circonscription de Tébessa qui comprend 350 000 électeurs, plus de deux sièges sur les sept dont elle dispose ; la quatrième considération est afférente à l'économie de l'arène locale : Tébessa est devenue une place forte du blanchiment de l'argent des circuits de la contrebande en Algérie. L'enquête s'est déroulée sur plusieurs séjours de recherche, d'une durée de deux à trois semaines, entrepris entre 2002, 2003 et 2004. Le matériau constitué comprend des sources de première main et des documents inédits (des entretiens qualitatifs avec candidats, élus, notables, fonctionnaires, militants, financiers et cadres de partis ; l'observation directe de meetings, réunions partisanes à huis clos et autres festins ; sources écrites (documents de travail des appareils partisans locaux, rapports confidentiels d'institutions de l'Etat, publications d'acteurs locaux, tracts).»