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La justice s'arroge le droit d'interdire des émissions Polémique entre le gouvernement et les médias tunisiens autour de la diffusion d'une interview du gendre du président déchu
Tunis. De notre correspondant En moins de 24 heures, deux décisions contradictoires ont été prises par la justice concernant la diffusion d'une interview du gendre du président déchu. L'émission sera finalement autorisée. Mais… La chaîne Attounsiya TV avait annoncé pour avant-hier à 21h une interview de Slim Chiboub, gendre du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. Connu surtout pour être pendant plusieurs années l'ex-président de l'Espérance sportive de Tunis et l'homme fort du football en Tunisie, Chiboub s'est exilé à Dubaï deux mois avant le 14 janvier 2011 et la chute du régime Ben Ali. Il entretient de bonnes relations avec les sphères d'affaires du Golfe. Gendre mal-aimé – Leïla Trabelsi, la deuxième femme de Ben Ali, ne l'aime pas – il est poursuivi en Tunisie dans plusieurs affaires et fait l'objet d'un mandat international d'extradition. Il a dernièrement exprimé l'intention de rentrer au bercail, pourvu qu'il soit jugé de manière «équitable» et qu'il n'y ait pas de «lynchage» à son égard. L'animateur d'Attounsiya, Moez Ben Gharbia, a jugé bon de l'interviewer. Un pareil scoop est médiatiquement et «publicitairement» porteur. La chaîne de télé a annoncé l'interview en grande pompe, mais le gouvernement ne l'entendait pas de cette oreille. Le service contentieux de l'Etat a intenté, hier, un procès contre la diffusion de l'émission «Attasiâ» (9h) sur la chaîne Attounsiya. Un juge a émis immédiatement une décision d'interdiction. Un tollé général a suivi. La plupart des réactions, dans les sphères politiques et médiatiques, sont venues condamner cette interdiction, annonçant «le retour de la censure». Seul le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, est monté au créneau pour soupçonner la diffusion d'entretiens avec les symboles de l'ancien régime de «tentatives de normalisation avec les symboles du régime déchu faisant partie d'un plan diabolique très bien étudié». M. Jebali a en outre précisé que «la chaîne Ettounissia TV est propriété du peuple tunisien et doit donc respecter ses choix». Sur ce même bord du soutien à l'interdiction, Fathi Laâyouni, désormais avocat du gouvernement – tellement il a attaqué en justice des créateurs et des figures n'allant pas dans le sens du pouvoir de la troïka – menace de prison et de retrait de licence les chaînes ayant l'intention de diffuser cette interview. Condamnations à gogo En face, les condamnations se suivent et se ressemblent. Même le ministre nahdaoui Samir Dilou s'est dit «catégoriquement contre la censure du produit avant sa diffusion». M. Dilou a aussi signalé qu'il «s'oppose à la censure sous toutes ses formes». Il a indiqué en conclusion de ses propos à la Radio Shems FM qu'«il vaudrait mieux que les symboles de l'ancien régime, qui reconnaissent certains de leurs dépassements, se défendent devant les tribunaux». La présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Mme Nejiba Hamrouni, a considéré «très grave» cette décision qui «porte atteinte à la liberté des médias». Mme Hamrouni a expliqué ce «dérapage dangereux» par «l'absence de haute autorité de régulation des médias». «Personne ne doit s'octroyer le droit de tutelle sur le peuple tunisien», a-t-elle signalé. Pour le député du Parti républicain à l'Assemblée constituante, Iyed Dahmani, «cet acte est incompréhensible aussi bien d'un point de vue légal que juridique. Une telle décision n'a pas lieu d'exister puisque la chaîne Attounsiya TV est transmise à partir de l'étranger et ne fait pas partie du domaine de juridiction des tribunaux tunisiens». Quant au député de Nidâ Tounes, Dhamir Manaï, il a estimé que «cette interdiction est une grave erreur envers le peuple tunisien qui a le droit de connaître la vérité». M. Manaï a rappelé que «les télévisions tunisiennes ont transmis des interviews et des vidéos beaucoup plus dangereuses que l'interview de Slim Chiboub, alors pourquoi la justice ne s'est mêlée qu'à cette affaire ?» Pour sa part, le leader du Front populaire, Hamma Hammami, dit n'être «pas opposé à une diffusion, même pas de Ben Ali lui-même, pourvu qu'on accorde le droit de réplique à des commentateurs de divers bords». Alors que la polémique se poursuit, la chaîne El Hiwar Ettounsi a exprimé son intention de diffuser l'interview vendredi soir, en se justifiant par le fait qu'elle «ne reconnaît ni les décisions de la magistrature dirigée par Noureddine Bhiri (comme du temps de Ben Ali) ni la restriction à la liberté d'expression qu'a arrachée la jeunesse tunisienne en l'absence de Bhiri et de son parti Ennahda». Mais entre-temps, l'avocat Laâyouni entreprend des démarches pour annuler toute diffusion de l'interview par des chaînes tunisiennes. Finalement, hier en milieu d'après-midi, le tribunal de première instance a examiné l'affaire sur le fond et rejeté le procès intenté par le chargé du contentieux de l'Etat visant à interdire la diffusion de l'interview de Slim Chiboub sur Attounsiya. Est-ce la fin de cette polémique ? Se poursuit ainsi le parcours du combattant des médias tunisiens vers la liberté d'expression.