Ahcène Krimat, que beaucoup d'Algériens ne connaissent pas, est l'homme dont le chemin s'est croisé, un jour, avec celui du premier timbre-poste de l'Algérie indépendante. Approché pour la première fois depuis 1962 au sujet de ce timbre par la revue philatélique Philnews, qui lui a consacré un numéro spécial à l'occasion de son 40e anniversaire, il n'a pas caché son étonnement qu'on s'intéresse à lui et à son histoire avec cette figurine postale qui a défrayé la chronique philatélique de l'époque. Originaire de Jijel, où il y est né le 15 février 1935, Ahcène Krimat est propriétaire de l'imprimerie Les Impressions d'art, située à Hussein Dey, celle qui a vu naître le fameux 1+9, un commémoratif paru le 1er Novembre 1962 en célébration du 8e anniversaire du déclenchement de la lutte de Libération nationale. Homme affable, artisan laborieux, amoureux de son métier, mais aussi de son pays, il a su garder le secret de cette émission afin de parer à d'éventuels sabotages de l'OAS. Parlant de son imprimerie, il dira qu'il l'a prise en gérance libre le 1er octobre 1961. Elle employait 8 ouvriers, tous européens, à l'exception d'un jeune Algérien formé sur les lieux. Interrogé sur les conditions dans lesquelles il avait été approché pour l'impression du 1+9, il se souvient : «J'ai été contacté probablement par les gens de la Fédération du FLN de l'époque, parmi lesquels j'avais des amis qui me connaissaient en tant qu'imprimeur. Mais, honnêtement, je n'avais jamais eu de contacts avant.» Il poursuivra : «On m'a choisi peut-être parce qu'on ne voulait pas que l'impression se fasse chez un Européen et que des personnes qui me connaissaient avaient jugé qu'il était préférable de confier l'impression à un artisan algérien et de surcroît connu.» Concernant les personnes chargées de contrôler son travail, Krimat se rappelle de trois d'entre elles. «Après livraison ‘‘fin d'impression'', ces personnes avaient détruit tout ce qui avait trait à l'impression, c'est-à-dire les feuilles gâchées et les habillages. Les clichés leur avaient été remis après nettoyage», affirme-t-il. «J'étais l'unique personne chargée de l'impression qui s'est déroulée le 31 octobre 1962, de 21 heures à 6 heures du matin», dira-t-il. Abordé sur la question de la mauvaise impression, il expliquera que «le papier présentait des gondolements et à cause de la précipitation, les taquets de rectification n'ont pas joué leur rôle. Mais il y avait aussi le montage des clichés. En somme, qui dit mauvaise rectification dit mauvaise qualité». Sur le caractère historique du travail qu'il avait accompli, notre interlocuteur affirme qu'il en était conscient. «J'avais gardé humblement cette satisfaction, que d'ailleurs je ne voulais pas ébruiter vu la mauvaise qualité de l'œuvre», reconnaissant au passage la précipitation avec laquelle s'est déroulée cette opération. «Sinon, pourquoi avoir laissé jusqu'au dernier jour pour penser à réaliser ce genre de travail ?», confie Ahcène Krimat, dont le nom restera à jamais lié au premier attribut philatélique de l'Algérie souveraine : un timbre rare, chargé d'histoire. S. Arslan D'après des propos recueillis en novembre 2002 par Mohamed Achour Ali Ahmed et Djamel Lahlou, publiés dans Philnews n°40 Janvier - Février 2003.