La loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption - votée en janvier 2006 par le Parlement - est jugée « très en retrait par rapport à la convention des Nations unies », a estimé hier Djilali Hadjadj, porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), section algérienne de l'ONG Transparency International, lors d'une conférence de presse au siège de la fondation allemande Friedrich Ebert à Alger. Les exemples de ce « recul » par rapport aux engagements internationaux du pays foisonnent, selon Hadjadj, à commencer par l'absence de garantie d'accès à l'information et la marginalisation du rôle de la société civile. « Pendant les négociations autour de la convention onusienne à Vienne, de 2001 à 2003, l'Algérie a opposé deux réserves, liées au rôle de la société civile et aux mécanismes d'application et du contrôle de l'application de la convention sous prétexte de refus d'ingérence étrangère », a rappelé le porte-parole de l'AACC. Une autre critique de l'AACC découlant de ce constat concerne la création, par la voie de cette loi, d'un organe national de prévention et de lutte contre la corruption. « D'abord, les Algériens ne connaissent pas le bilan de l'Observatoire de lutte contre la corruption créé en 1996 et dissous par le président Bouteflika et aujourd'hui on crée un autre organisme qui ne doit rendre compte qu'au chef de l'Etat », a indiqué M. Hadjadj, ajoutant que son association a exprimé des réserves quant à la nomination, à la tête de ce nouvel organisme, d'un magistrat qui est passé devant le conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature. « Même s'il a été blanchi par cette instance, il reste que c'est un manque à gagner », a estimé M. Hadjadj, rappelant que ce même magistrat a été membre de la commission qui a travaillé sur la loi anticorruption et a été le représentant algérien face à une discrète délégation de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) venue à Alger en janvier 2005 dans le cadre du travail de cette organisation autour de la prévention de la corruption dans les réseaux de transactions internationales. L'article 46 sanctionnant la « dénonciation abusive » est aux yeux de l'orateur une disposition « grave », car décourageant tout citoyen qui souhaiterait attirer l'attention sur des allégations de corruption. « En plus, nous avons pourtant la Cour des comptes qui peut jouer un rôle dans ce nouvel organe, mais qui reste gelée. Malgré la loi, la Cour des comptes n'a rendu public son rapport annuel que deux fois en 25 ans ! », a poursuivi Djilali Hadjadj. Il est revenu également à l'ex-article 7 enterré lors du vote au Parlement par deux partis de l'Alliance présidentielle, le FLN et le MSP, avançant, notamment, l'argument de l'immunité parlementaire et la peur de « règlements de comptes politiciens ». Cet article devait obliger les élus et les fonctionnaires publics à établir leur déclaration de patrimoine sous peine de poursuites. L'évacuation de cette disposition, selon l'AACC, a « consacré l'impunité des agents publics ». De « la difficulté » d'obtenir les marchés Un constat alarmant lorsqu'on sait que l'Algérie, forte de sa cagnotte pétrolière, devra investir près de 10 milliards de dollars dans une courte période, s'est inquiété l'orateur, dénonçant la pratique du gré à gré dans l'octroi des marchés publics, surtout dans les secteurs de l'eau, du bâtiment et des médicaments, citant les opérateurs chinois et le dernier contrat signé avec Suez. « L'alibi de l'urgence est inacceptable. C'est le Conseil des ministres qui donne ces marchés, imaginez ce qui se passe dans les démembrements de l'Etat », a indiqué M. Hadjadj, expliquant que le gré à gré rend quasi inopérant les mécanismes de contrôle. « Des pays du sud de l'Europe, membres de l'OCDE, ont souligné leur difficulté à obtenir des marchés publics en Algérie. Diversifier ses partenaires n'est pas contestable, mais ce qui nous inquiète, c'est l'existence de ce qui semble être une filière asiatique qui se développe et qui serait moins transparente, notamment celle de la Corée du Sud », a-t-il révélé. Il a appelé en outre le gouvernement à rendre publique une évaluation des affaires qui ont touché plusieurs banques publiques... ainsi que l'affaire Khalifa. « Est-ce qu'il faut attendre que personne ne soit vivant pour ouvrir enfin le procès ? », a-t-il lancé, expliquant qu'une nouvelle convention entre l'Algérie et la Grande-Bretagne permettait, au moins, les échanges de renseignements et la coopération judiciaire. Au chapitre du manque de transparence, il a également souhaité que le gouvernement puisse communiquer, par exemple, aux contribuables le montant des contrats d'armes récemment signés avec la Russie. Le 21 mars, Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement, a refusé de préciser le montant de ces contrats lors d'une conférence de presse. L'AACC compte, dans les mois prochains, rendre publique une étude détaillée autour de la loi anticorruption. « On a l'impression que les pouvoirs publics se sont engagés à ratifier la convention de l'ONU pour la brandir à l'intérieur comme une épée de Damoclès. Maintenant qu'il faut réellement appliquer, le gouvernement hésite », a dit M. Hadjadj, en souhaitant se tromper et en saluant l'entrée tardive dans la salle de Benyoucef Mellouk, qui a révélé au début des années 1990 le scandale des magistrats faussaires. L'Algérie occupe la 97e place - sur 158 pays classés - dans le baromètre de l'indice de perceptions de la corruption en 2005. Indice créé en 1995 par Transparency International qui réfléchit à créer un indice de lutte contre la corruption. Le rapport 2007 de cette ONG s'intéressera à la corruption dans la sphère judiciaire.