La lutte contre la corruption représente-t-elle une priorité pour le gouvernement algérien ? La réponse est normalement affirmative, au regard de la ratification, par l'Algérie, de la Convention des Nations unies (UNCAC) et celle de l'Union africaine (CUA), dont l'entrée en vigueur est le 15 décembre 2005 pour la première et le 5 août 2006 pour la seconde. Notre pays a promulgué dernièrement, le 20 février 2006, une loi de prévention et de lutte contre la corruption et compte s'investir dans le combat contre la criminalité et le blanchiment d'argent. De l'avis de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), membre de l'ONG Transparency International (TI), les négociations serrées auxquelles l'UNCAC a donné lieu sont la preuve que les Etats l'ayant ratifiée considèrent que la signature d'une telle convention “pourrait un jour leur être opposée, tant par leur population que par d'autres Etats ou par des institutions internationales”. Dans son étude sur la promotion en Algérie des conventions internationales contre la corruption, Djilali Hadjadj, porte-parole de l'AACC, a laissé entendre, hier, que la convention de l'ONU rend “obligatoire”, pour les Etats-parties, l'incrimination d'agissements liés à la corruption et retient le principe des “poursuites”, ainsi que la nécessité de “protéger les témoins, experts et victimes” et celle de “la spécialisation des entités ou des personnes devant poursuivre la corruption”. Et la question du suivi de l'UNCAC deviendra réelle après la conférence des Etats-parties qui se tiendra en principe à la fin de l'année, c'est-à-dire une année après l'entrée en vigueur de la convention. Pour Hadjadj, la loi algérienne de février dernier est “très en retrait par rapport à l'UNCAC et la CUA”. Il a ainsi situé les défaillances à différents niveaux : l'indépendance de l'organe de prévention et de lutte contre la corruption, l'accès à l'information, les limites du dispositif relatif à la déclaration de patrimoine, les restrictions dans la participation de la société civile et enfin les revers d'une nouvelle incrimination dénommée “dénonciation abusive”, aux lieu et place de la protection des victimes de la corruption et des dénonciateurs. Une position plus positive des pouvoirs publics Le responsable de la section algérienne de TI a en outre relevé des imperfections et des contradictions soulevant la difficulté à rapporter la “preuve de l'infraction” dans les affaires d'enrichissement illicite des agents publics (article 37 de la loi du 20 février), et le “non-respect” par les pouvoirs publics de la loi de 1990 sur les associations, qui se traduit par la non-délivrance d'agrément. “Comment amener les pouvoirs publics à développer une position plus positive vis-à-vis de la société civile et des associations ?”, s'est-il alors interrogé, en suggérant de “multiplier” les pressions et d'amener l'exécutif à respecter les dispositions de la loi de 1990. Concernant la création d'une “agence indépendante contre la corruption”, Djilali Hadjadj n'a pas caché ses doutes, gardant à l'esprit l'expérience de l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (ONSPC), de même que le tristement épisode de l'incarcération de plus de 2 000 cadres d'entreprises publiques à la suite de la campagne menée en 1996 et 1997. Il a néanmoins plaidé pour l'action auprès des dirigeants, afin que les textes d'application relatifs à cet organe précisent à la fois “les missions, l'organisation et le fonctionnement, notamment son indépendance effective, la publication de son rapport annuel et la possibilité d'être saisi par le public”. Comme il a insisté sur l'interpellation des pouvoirs publics sur “la désignation de dirigeants compétents et intègres” à la tête de ladite agence. Abordant l'affaire Khalifa, l'intervenant a soutenu que l'UNCAC peut donner à l'Algérie et au Royaume-Uni “l'opportunité de développer une coopération bilatérale”. Selon lui, cette affaire peut constituer d'ailleurs “le cadre idoine” pour la mise en place de cette coopération, mais surtout pour mesurer la volonté des deux états signataires de la convention des Nations Unies à se conformer à leurs engagements. Sur la question de la protection des dénonciateurs, Hadjadj a constaté l'absence de garantie dans la loi algérienne. “L'Algérie dissuade les dénonciateurs en mettant en avant les dénonciations calomnieuses”, a-t-il déclaré, tout en déplorant ce “magma de contradictions et de dissuasions à dénoncer la corruption”, ainsi que le manque de “volonté politique” des pouvoirs publics à mettre fin à ce fléau. “Le pouvoir se sent-il piégé ?” Le porte-parole de l'AACC a même relevé plus loin “le peu d'enthousiasme” de ces mêmes pouvoirs publics à faire connaître le contenu de la convention de l'ONU et celle de l'Union africaine, en reprochant au gouvernement de ne pas “établir des liens formels” avec la société civile, les ONG et les médias pour “la mise en place d'un partenariat visant la promotion des conventions”. Même la démarche de la présidence de la République est critiquée, du fait que Bouteflika ait “préféré contourner le Parlement” pour la ratification des deux conventions. “Cette démarche dénote l'absence de stratégie nationale de lutte contre la corruption”, a estimé notre confrère du Soir d'Algérie, en affirmant que cette opération “se déroule en vase clos (…) entre les services de la présidence de la République, de la chefferie du gouvernement, du ministère de la Justice et de quelques hauts fonctionnaires, des magistrats principalement”. Alors qu'il n'existe pas “d'incompatibilité majeure” entre les deux conventions et les lois du pays, a-t-il ajouté. De l'avis de Hadjadj, le pouvoir algérien “donne l'impression de faire marche arrière par rapport à ses engagements internationaux”. Puis de se demander : “Se sent-il piégé par les conséquences de ces mêmes engagements et les obligations qui en découlent au plan national ?” Dans sa conclusion, l'intervenant a insisté sur “le défi” pour l'Algérie de mettre en application l'UNCAC et la CUA. Même s'il a noté les limites de la lutte contre le phénomène de corruption. Pour lui, cette lutte ne saurait enregistrer de “succès durables” si elle ne s'inscrivait pas dans la coopération internationale. Une coopération qui serait accompagnée par l'entraide judiciaire dans les relations bilatérales entre les Etats qui ont ratifié les conventions, voire même dans le cadre global des relations multilatérales (Algérie-Gafi, pays du Mena et OCDE, accords d'association Algérie-UE…). Au plan national, il a proposé de faire connaître la CUA et l'UNCAC auprès d'un large public. Cette action doit toucher également, selon Hadjadj, les institutions publiques (appareil judiciaire, organismes de contrôle et de répression de la corruption), les professions libérales, les élus, les banques, les universités et les médias. Un autre volet a aussi été défendu, celui de “la formation à la prévention et à la lutte” des agents publics, afin de combler le déficit en la matière, de même que l'inclusion des deux conventions internationales dans les “filières universitaires concernées”. L'idée d'une “plus grande impulsion” aux journées internationales contre la corruption a été mise en exergue comme éléments de promotion. Hafida Ameyar