La ville de Siliana est en grève générale pour la quatrième journée consécutive pour revendiquer le départ du gouverneur et une part équitable dans le développement régional. Tunisie De notre correspondant L'impression sautant aux yeux de tout visiteur de cette ville en ces jours de révolte, c'est que tout est hors service, à l'exception de quelques pharmacies, boulangeries, petits commerces et l'hôpital régional qui ont gardé leurs portes ouvertes. Des voix révoltées s'élèvent de tous bords. Toutes les délégations y sont. Bou Arada, Gaâfour, Sidi Bou Rouiss, El Krib, Makthar, Kesra, Lakhouet, etc. Elles exigent, à travers leurs représentants, le départ du gouverneur et l'équité en matière de développement régional. Pour eux, les récentes déclarations du chef du gouvernement provisoire et du ministre de l'Intérieur n'ont fait qu'attiser le feu, vu leurs «tons arrogants défiant toute une population depuis toujours difficile à dompter». Pour Samia, tout comme pour Salah et Boujemaâ, croisés au cœur de la foule, «Siliana, la ville d'Ali Ben Ghdahem, d'Ahmed Ibn Abi Dhiaf, celle où Ben Ali a été obligé de faire intervenir ses parachutistes dans les années 1990 pour mâter les soulèvements d'alors, la région ne courbera point l'échine devant ses oppresseurs». La version citoyenne des événements est autre que celle du ministre de l'Intérieur : «Contrairement à ce qu'il a déclaré dans les infos de 20 heures, notre marche de protestation était pacifique et ce sont ses hommes qui ont commencé la provocation. Ses hommes n'ont cessé de vociférer des propos acerbes et insultants sur fond de gestes impudiques à l'égard de tous, sans le moindre respect pour nos femmes et nos vieux. Leur descente la veille vers 21hs (dans la nuit de mercredi à jeudi) dans les cités Salah et Gaâ El Mezoued en est la preuve. Allez en parler avec les femmes et les jeunes, ils vous en diront plus sur notre nouvelle police. Nous ne reviendrons plus sur nos principales revendications : la démission du gouverneur et un vrai développement régional.» De telles scènes traduisent l'état d'âme de la population et leur détermination à voir se réaliser chez eux les objectifs de la révolution du 14 janvier 2011, notamment la dignité et plus d'équité sociale. Or, le gouverneur essaie de les priver de cette dignité. «Il doit dégager», n'ont cessé de revendiquer les citoyens et leurs représentants. Il est vrai que les événements de Siliana sont arrivés au mauvais moment pour le Chef du gouvernement, Hamadi Jebali. Cafouillage politique La Tunisie abritait au même moment le Carrefour d'affaires et de technologies 2012 et accueillait plus de 800 hommes d'affaires. Excédé, il a confirmé son soutien indéfectible au gouvernement de la région, attisant la tension sociale. Mais depuis, Jebali a commencé à changer son fusil d'épaule. Ainsi, lors de la conférence de presse d'avant-hier, il a nuancé sa position en disant que «ledit gouverneur ne sera démis de ses fonctions que s'il s'avère qu'il a failli à ses responsabilités». Jebali coupe ainsi avec sa nervosité et ouvre la voie au départ de ce gouverneur. Il pourrait «ghaltouni» (on m'a induit en erreur) pour justifier le changement de ses positions au gré des exigences de la scène politique. Il n'est pas à sa première «correction». Du côté de l'opposition, Ahmed Nejib Chebbi, président du comité politique du parti républicain, a appelé explicitement au changement de Ali Laâreyedh à la tête du ministère de l'Intérieur. Cette déclaration intervient suite à la situation de crise que vit le gouvernorat de Siliana. Selon Ahmed Nejib Chebbi, Ali Laârayedh a échoué dans la direction de son ministère et dans la gestion de la sécurité du pays. Le président du comité politique du parti républicain a précisé que le recours à la violence ne mènera qu'au KO, «il aurait fallu être plus sévère, mais maintenir la sécurité sans violence», a-t-il notamment dit, en attirant l'attention sur le fait que «le laisser-aller a trop duré avec Ali Laâreyedh, notamment à l'égard des salafistes». Pour ce qui est de l'état des victimes, dont le nombre s'élève à plus de trois cents, notamment ceux touchés aux yeux par des éclats de plomb, Selma Mabrouk, députée à l'ANC et ophtalmologiste les a visités à l'hôpital Hédi Raïes d'ophtalmologie. Elle a affirmé que «dix d'entre eux ont bénéficié d'une chirurgie dite lourde sur le globe oculaire, c'est-à-dire que pour ces cas là, la plaie occasionnée par le (ou les) plombs de chasse, a touché les tissus internes de l'œil. Dans ces cas-là, les chances de récupération visuelle sont faibles malgré plusieurs interventions chirurgicales de pointe nécessitant une équipe ophtalmologique ultra spécialisée». Elle a précisé qu'un des blessés serait atteint aux deux yeux, «ce qui veut dire que le risque d'une perte totale et définitive de la vision est malheureusement élevé...». La situation est encore confuse malgré la baisse de la tension. Une réunion est prévue ce matin au palais du gouvernement à la Casbah entre le gouvernement, la centrale syndicale et sa représentation de Siliana, les représentants de la ville, en l'absence du gouverneur contesté. Tout le monde espère qu'un début de solution pointera à l'horizon.