La situation sociale et pédagogique de la communauté estudiantine algérienne en France se dégrade, à coup sûr, depuis plusieurs années. Les difficultés du train-train quotidien, générées par la crise économique que vit l'Europe, rattrapent violemment nos étudiants. Les problèmes s'entassent et les solutions se font rares, très rares. Aussi, faut-il dire que l'actuelle législation française risque d'augmenter le taux d'échec annoncé d'intégration universitaire des milliers d'étudiants algériens, pourtant jusque-là exemplaire. En attendant ce que va faire la gauche au pouvoir depuis un peu plus de six mois, les étudiants algériens ne savent plus à quel saint se vouer. Complètement désavoués, ils sont piégés entre le marteau des projets qui tombent à l'eau et l'enclume d'une réalité dure à vivre, à la limite du supportable. Décryptage: Parcours du combattant pour tous Avant d'aller plus loin, rappelons que les quelque 23 000 étudiants algériens, que compte l'ensemble des écoles et universités françaises, ont fait un parcours du combattant avant de pouvoir poser le pied sur le sol français. La procédure de demande de visa d'études est gérée par Campus France Algérie, conjointement avec les services consulaires français. Ces démarches administratives complexes coûtent à chaque candidat une petite fortune, sans parler d'un tas d'obstacles bureaucratiques. Le pire, certains refont les démarches plusieurs années avant d'avoir «enfin» leur visa. Et ce n'est que le début. Ceux qui ont eu «la chance» d'avoir ce fameux document se heurtent rapidement à une dure réalité. Après un bref moment euphorique où ils découvrent le pays dans lequel ils espèrent relancer leur cursus et construire un avenir meilleur, les premiers traits de déception se font jour. Débarquant dans l'Hexagone avec un visa de trois mois de validité, un étudiant algérien doit, dès son arrivée, entamer d'autres démarches administratives pour les inscriptions pédagogiques à l'université d'accueil, mais aussi pour l'obtention d'un titre de séjour étudiant. La galère commence. Galère bureaucratique Tandis que leurs camarades français, européens, latino-américains, orientaux et même maghrébins se concentrent sur le début de l'année universitaire, les étudiants algériens ont d'autres chats à fouetter. Il faut constituer d'abord un dossier pour la demande d'un titre de séjour avec à l'appui un justificatif financier d'un minimum de 5000 euros par an. «Les démarches sont compliquées. Les préfectures sont exigeantes et très lentes dans le traitement des dossiers», témoigne Salem, étudiant à Rennes. Puis, il faut espérer avoir un logement universitaire, car dans le cas contraire c'est un autre parcours du combattan. Il faut trouver un petit abri chez les particuliers, avec tout ce que cela génère comme inconvénients : refus catégorique pour certains favorisant des étudiants d'autres nationalités, l'exigence qu'une tierce personne signe un acte de garantie dit «acte de caution solidaire», le dépôt obligatoire d'une caution financière, mais surtout les prix de loyer élevés qui varient selon l'offre proposée (à partir de 350 euros par mois, toutes charges comprises, pour un petit studio décent dans les régions provinciales et pas moins de 500 euros pour la même offre dans la région parisienne). A défaut d'avoir quelqu'un chez qui s'abriter temporairement, le temps de trouver quelque chose, les provinciaux font la navette vers Paris qui reste la solution idéale pour tous. Cela pour des raisons logiques, en l'occurrence la forte présence de la communauté algérienne. Entre-temps un semestre est déjà écoulé sans avoir vraiment l'opportunité de suivre les cours, séchés pour la plupart. Travail à «la sauvette» ! Après plusieurs semaines de dépenses et sans revenu, le porte-monnaie de nos étudiants s'épuise. Désormais, la priorité est de trouver un petit job d'étudiant, chose qui est tout sauf évidente. «Après six mois de démarches administratives et de recherche d'emploi, j'ai été engagé par une boîte d'intérim pour travailler, sur des heures décalées, dans une usine de montage automobile. Mais à cause de la crise, on a mis fin à mon contrat en juillet dernier. Depuis, je suis à la recherche d'un emploi», raconte Salem, sachant qu'il doit, en même temps, préparer son mémoire de fin d'études et chercher un stage pratique. Donc, la première cause, diriez-vous, est la crise économique aiguë que vit la France. Oui, mais pas que ça ! L'étudiant algérien est, en effet, soumis à une réglementation particulière. Contrairement à tous les étudiants étrangers, seuls les Algériens ne peuvent pas travailler avec un «récépissé de demande de carte de séjour», sur lequel est clairement mentionné : «n'autorise pas son titulaire à travailler». Or, à titre d'exemple, les étudiants tunisiens et marocains, dans la même situation, n'ont pas cette notification et ne sont pas soumis à une autorisation de travail. Avant d'espérer trouver un emploi, il faut patienter encore deux mois, au minimum, pour l'obtention du fameux titre de séjour. Le malheur, c'est que même avec ce document, l'étudiant algérien tombe sous l'application d'un autre texte de loi, pour ainsi dire «discriminatoire». Le site officiel de l'administration française servicepublic.fr rapporte : «L'étudiant algérien reste soumis à autorisation s'il souhaite exercer un travail salarié à titre accessoire pendant ses études. L'autorisation est limitée à 50% de la durée annuelle du travail pour la branche professionnelle ou la profession concernée.» L'interprétation pratique de cette loi est que l'étudiant algérien doit demander une autorisation de travail auprès de l'unité territoriale de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). La délivrance de ce document est obligatoire avant le début de l'activité. Parmi les pièces à fournir, une promesse d'embauche ou un contrat de travail, précisant que le concerné ne va pas dépasser le nombre d'heures de travail, limité à 18 et une demi-heure par semaine (contre 21 heures pour les autres étudiants étrangers) pour un salaire équivalent généralement au SMIC. Au final, un étudiant algérien qui postule pour un poste de travail quelconque doit réclamer à son employeur potentiel un nombre limité d'heures et quelques jours d'attente avant l'obtention des documents nécessaires.
Dans la plupart des cas, sa candidature est rejetée au profit d'étudiants français ou autres. Il faut signaler, à ce stade, que quelques employeurs sont compréhensifs contrairement à la majorité d'entre eux. La seule alternative qui reste serait le travail au noir, notamment à Paris. Nos étudiants qui ont «la chance» de connaître un employeur «généreux» ont intégré toute sorte de corps professionnels, les plus improbables vu leur parcours universitaire. On les retrouve dans les marchés, les chantiers, le nettoyage et plusieurs ont le «privilège» de travailler dans la restauration ou dans des agences de sécurité. La difficulté de trouver un bon travail rémunérateur pénalise doublement les étudiantes. Elles se contentent de faire quelques heures de baby-sitting par semaine, travailler dans les marchés hebdomadaires, faire le ménage chez des particuliers ou, d'une manière très précaire, exercer dans le nettoyage industriel. Certaines, faute de trouver mieux, travaillent comme serveuse dans des restaurants ou dans des bars. Quelques-unes sont complètement désespérées qu'elles n'hésitent pas à offrir des prestations sexuelles payantes. Où sont les études dans tout ça ? Reléguées à un rang inférieur dans la hiérarchie des préoccupations. Les plus pugnaces et persévérants continuent, tant bien que mal, leurs études. Pour ce faire, ils peuvent compter sur des crédits et le soutien financier de leur famille. Ils sollicitent aussi l'aide des associations caritatives, comme les restos du cœur. Le constat et le diagnostic sont alarmants pour ne pas dire choquants. Penchons-nous, maintenant, sur les causes et les dessous de cette situation dérisoire des étudiants algériens et ses conséquences indésirables. Le fardeau des Accords de 1968 L'une des raisons évoquées pour expliquer cette réglementation particulière qui ne touche que les étudiants algériens, certaines préfectures et inspections du travail parlent d'accords signés entre les deux pays qui prévoient «l'interdiction du travail pour les étudiants algériens». «Même ici le pouvoir algérien ne nous laisse pas tranquille. Il nous met des bâtons dans les roues pour nous obliger à rentrer au pays. Nos dirigeants se fichent de notre avenir, car leurs enfants sont tous étudiants boursiers dans les plus grandes écoles du monde. Ils n'ont même pas besoin de travailler», fulmine Farid, étudiant à Paris. Alors, l'existence de ces accords; intox ou réalité ? Après une fouille détaillée dans tous les textes de coopération bilatérale franco-algérienne, le seul accord qui parle clairement du travail des étudiants algériens est l'«Accord de 1968». «Les ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence portant la mention ‘‘étudiant'', sous réserve de leur inscription dans un établissement ouvrant droit au régime de sécurité sociale des étudiants, peuvent être autorisés à travailler dans la limite d'un mi-temps annuel pour la branche ou la profession concernée. L'autorisation est délivrée sous forme d'autorisation provisoire de travail sur présentation d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail», lit-on dans le titre III du protocole d'accord. Donc, la réglementation appliquée actuellement est régie par ce texte, mais il n'empêche aucunement les étudiants de travailler. Contactés, le service culturel de l'ambassade d'Algérie et le service des bourses du consulat d'Algérie à Paris sont formels : «Il n'y a pas d'accord signé par l'Algérie pour empêcher ses étudiants de travailler en France.» Au contraire, nous informent-ils, «la convention de partenariat entre la France et l'Algérie, signée en décembre 2007, vise à renforcer la coopération en matière de recherche scientifique et faciliter la circulation des étudiants et des chercheurs entre les deux pays». Néanmoins, «une minorité d'étudiants, ceux qui sont boursiers de l'Etat algérien, signent une clause dans la convention de bourse, assurant qu'ils rentrent au pays après la fin de leurs études», a-t-on appris. Chose logique, à plusieurs égards. Une législation asphyxiante Les traces de textes de loi se trouvent plutôt du côté français. A titre d'exemple, la «loi de Chevènement», du 27 juin 1997, exigeait aux étudiants étrangers de mettre leurs compétences professionnelles acquises en France au profit du développement de leur pays d'origine. Cette loi a été remplacée par la «loi Sarkozy 2006», du 24 juillet 2006, alors ministre de l'Intérieur, qui prônait l'immigration choisie et la facilitation de l'installation définitive en France des diplômés étrangers. Cette loi a été qualifiée par beaucoup de spécialistes de «positive et encourageante». Toutefois, nos étudiants n'ont pas été concernés, puisque les accords du 27 décembre1968 ont la primauté sur toute la législation régissant l'immigration algérienne. Ironie du sort, c'est un ministre sarkozyste de l'Intérieur, Claude Guéant, qui a causé le plus de mal aux étudiants étrangers, en général, et algériens en particulier. La réalité, c'est que la «circulaire Guéant», du 21 mai 2011, a encore son poids sur le terrain bien qu'elle ait été simplement abrogée par le gouvernement actuel. Les employeurs ne prennent pas en considération la circulaire du 21 mai 2012, signée conjointement par les ministres de l'Intérieur, de l'Enseignement supérieur et celui du Travail. Ce nouveau texte prône clairement la facilitation de «l'accès au marché du travail des diplômés étrangers». Les directions des ressources humaines continuent à s'appuyer officieusement sur la «circulaire Guéant», profitant d'une sorte d'omerta juridique et de l'absence de contrôle. «C'est de l'acharnement pur et dur. C'est une discrimination dans le travail», s'indigne Malik O., jeune diplômé en informatique (master 2). Ce jeune Algérois de 24 ans a fait tout son cursus universitaire, depuis la première année licence, dans la même université parisienne. «Je suis arrivé en France en septembre 2007. J'ai obtenu ma licence, mon master 1 et mon master 2 dans la même université. Pour financer mes études et me concentrer complètement sur mes recherches, j'ai opté pour des crédits familiaux d'un peu plus de 5000 euros par an», explique-t-il. A la fin de son stage en avril dernier, Malik a cherché du travail pendant plusieurs mois avant qu'un grand opérateur de téléphonie mobile soit séduit par ses compétences. «Après des tests et quelques entretiens, j'ai été choisi par la DRH de cette entreprise de renom, parmi des candidats français et étrangers. Elle m'a signé une promesse d'embauche avant de l'annuler une semaine après», regrette-t-il avec amertume. Le statut d'«étudiant algérien» de Malik a fait repousser son recrutement, car cette société n'est pas prête à entamer des démarches, de son côté, pour lui changer de statut vers celui de «salarié». «Si une boîte qui dépend d'un géant aussi puissant ne veut pas me faire un changement de statut, il n'y a plus d'espoir», a-t-il conclu. Le scepticisme, né chez les DRH françaises après la «circulaire Guéant», pèse également sur l'avenir des étudiants en fin de cycle. Ces derniers ne peuvent pas valider leurs diplômes qu'avec un stage pratique obligatoire, entre 4 à 6 mois. Là encore, les entreprises refusent de signer des conventions de stage avec les étudiants algériens qui sont contraints de se rabattre sur des stages «grossiers». «Je suis étudiant en master professionnel dans le secteur de la communication des entreprises.J'ai cherché vainement un stage partout afin de valider mon master1. Je suis remonté sur Paris et je l'ai passé dans une association culturelle de quartier», témoigne Saïd, étudiant en communication dans une université sur la Côte d'Azur. Ainsi, la réalité se fige et s'impose en face de ces étudiants algériens qui découvrent, hélas, que la France n'est plus l'eldorado tant espéré. Comme Malik, endetté de plus de 35 000 euros, beaucoup d'autres étudiants veulent rentrer au pays, mais ils ne peuvent pas le faire «avec rien dans la poche ou pire avec des dettes contractées». Ce sera un aveu d'échec honteux pour eux. Donc, certains optent pour l'immigration au Canada, d'autres restent en France grâce au mariage ou au changement radical d'activité. Ces jeunes, destinés à devenir de hauts cadres dans de multiples spécialités, deviennent des ouvriers intérimaires, agents de sécurité, marchands ambulants ou chefs d'entreprise «bidon» dans le nettoyage, le bâtiment ou le déménagement. Les étudiants algériens lancent un SOS aux autorités algériennes et françaises, les implorant de «mettre fin à cette humiliation». A bon entendeur.