Considérés par les autorités avec soupçons et méfiance, les entrepreneurs algériens sont confrontés à l'insécurité juridique, un dispositif législatif pléthorique et une justice aux ordres. C'est le constat amer qu'a dressé Ahmed Mahiou, directeur de recherche émérite au CNRS, lors d'une conférence-débat organisée hier par le think tank «Défendre l'entreprise» à l'hôtel Sofitel, à Alger. «La relation entre l'entrepreneur privé et la Constitution est absente. La première Constitution lui a consacré un seul article. Il y eut une méfiance doctrinale», estime M. Mahiou, également ex-directeur de l'Iremam à Aix-en-Provence. Les entrepreneurs à l'époque agissaient dans un «climat de défiance», ajoute-t-il. Rien n'a changé depuis. «Il ne faut pas avoir trop d'illusions. L'idée de méfiance persiste toujours», indique-t-il, affirmant en revanche que l'entreprise privée a «aussi sa part de responsabilité dans l'image dégradante qu'elle renvoie au monde politique». L'orateur suggère que l'entreprise soit pleinement «réinsérée» dans le projet de révision constitutionnelle. Evoquant la gouvernance des entreprises publiques, M. Mahiou relève «une instabilité juridique». «Jamais l'Etat n'a su raffermir sa relation avec ses entreprises publiques», dira le juge ad hoc à la Cour internationale de justice, précisant que le «pouvoir administratif est devenu une rente» qui est à l'origine de la généralisation de la corruption. Dans le cas des sociétés privées, les autorités restent au stade de «l'incantation». Pour illustrer l'«incohérence» des choix du pouvoir, il rappelle que l'Algérie est le seul pays dans le monde dépourvu d'une banque privée nationale. «Par la faute d'un seul homme (affaire Khalifa, ndlr), l'on a condamné tout le monde. C'est une pure aberration», dénonce-t-il, non sans émettre de sérieux doutes sur «la crédibilité» du procès. La règle dite des 49-51% relative à l'investissement étranger ? Un «dogme absurde. C'est peut-être valable pour l'électricité, le transport ou l'énergie ! Mais en quoi produire des chaussures nécessiterait de faire appel à cette règle. C'est un non-sens», s'emporte encore l'auteur de Où va l'Algérie ? Quid du code des marchés publics qui devra être révisé pour la seconde fois en deux ans ? Encore une «absurdité», tonne M. Mahiou pour qui «la corruption est à combattre par une justice indépendante et non pas par une couche de textes législatifs». Par conséquent, il en résulte des «blocages à tous les niveaux», commente ce membre de l'Institut de droit international. A défaut d'une transparence dans le processus de prise de décision politique ou économique, la corruption persistera davantage, prévient-il. Abordant la question du contrôle, il note que l'application de la réglementation «pose problème». Autre tare relevée : une «justice aux ordres» qui angoisse cadres et managers. L'ancien doyen de la faculté de droit d'Alger se dit enfin «pessimiste» quant à la résurgence d'une «idée de citoyenneté politique, administrative et économique».