Entre incertitudes et soupçons, rares sont les étudiants qui, en 2012, choisissent la période coloniale comme thème de leur mémoire de fin d'études. «La plupart des étudiants boudent aujourd'hui l'histoire coloniale à cause de son opacité. On n'arrive pas à avoir des sources fiables. D'ailleurs, même les historiens algériens n'arrivent pas à être sur la même longueur d'onde, alors comment voulez-vous que cette période historique attire les étudiants ?» Yacine, la vingtaine, étudiant en 4e année au département d'histoire de l'université de Bouzaréah, s'est replié vers… l'histoire ottomane «pour ne pas trop se casser la tête…» Les thèmes relatifs à la période coloniale française en Algérie n'attireraient plus les étudiants spécialisés en histoire à l'université d'Alger. Entre incertitudes et soupçons, rares sont ceux qui, en 2012, choisissent la période coloniale comme thème de leur mémoire de fin d'études. Les uns disent que la vérité historique de cette période est «inaccessible», les autres révèlent qu'ils ne peuvent pas choisir les thèmes qui leur conviennent. L'historien Mohamed El Corso nuance toutefois. Il affirme avoir encadré beaucoup de thèses portant sur la guerre de Libération. «J'ai eu à traiter beaucoup de thèses sur cette période, surtout celles d'étudiants en master et doctorat.» En dépit de l'abondance d'ouvrages relatifs à cette période, les contradictions des historiens «nous rendent réticents», confient plusieurs étudiants. Amina, étudiante dans le même groupe que Yacine, témoigne : «L'historien Mohamed El Corso a animé hier un séminaire sur les manifestations du 11 Décembre 1960, au cours duquel il a révélé que l'expression de “l'Algérie française'' est un terme qui revient au général de Gaulle, alors que plusieurs ouvrages évoquent cette question en précisant que c'est un terme du FLN. Moi, je ne doute pas des informations de Mohamed El Corso, mais d'un autre côté, je ne suis pas en mesure de démentir les autres historiens. De ce fait, on ne sait plus aujourd'hui qui suivre !», se désole-t-elle avant d'enchaîner : «C'est la raison pour laquelle les étudiants d'aujourd'hui préfèrent se concentrer notamment sur l'histoire andalouse et ottomane. Car là, tout est clair.» Le même historien estime que l'histoire étant différente de la science exacte, le chercheur est finalement toujours exposé à l'erreur en l'absence d'archives. «Pour moi, ce n'est pas de la contradiction… mais un résultat qui démontre l'évolution de l'histoire. Maintenant, on parle de Messali El Hadj, alors que ce n'était pas le cas dans les années 1980. De plus, à l'époque, tout le monde pensait que Abane Ramdane était mort au champ de bataille, alors que maintenant on arrive à connaître la vérité sur son assassinat.» Par ailleurs, le peu d'étudiants qui reviennent sur cette période sont généralement venus de Kabylie. Ils se disent très impressionnés par la personnalité du martyr Amirouche. «C'est une personnalité remarquable», lâche l'un d'eux Mohand, 22 ans, étudiant en 4e année dans le même département, a choisi la guerre de Libération dans la Kabylie comme thème pour son mémoire. «Dans mon sujet, je me base beaucoup plus sur les opérations militaires dans la Région 2 de la Wilaya III, et également sur la personnalité de Malika Gaïd, qui se trouvait dans cette région», développe-t-il. De manière générale, les étudiants critiquent le manque d'ouvrages en arabe et la restriction des sujets proposés. «Il faut reconnaître que ce n'est pas évident de réaliser un mémoire sur cette période, surtout pour les étudiants monolingues. Ils trouvent toujours des difficultés pour dénicher de bons ouvrages en arabe, car la plupart des historiens, spécialisés dans la guerre de Libération, écrivent en français, une entrave pour la plupart. De plus, les professeurs ne laissent pas leurs étudiants choisir les thèmes librement sous peine de ne pas se voir encadrés», assure-t-il. El Corso confirme l'existence de sujets tabous et avoir eu à traiter des thèmes de mémoire rejetés par la suite : «Il y a encore des sujets tabous, assure-t-il. Mais arrivera le jour où ils seront divulgués.»