Officiellement, la Jordanie est une monarchie parlementaire. Dans les faits, le roi concentre l'essentiel du pouvoir entre ses mains. Le Parlement, composé jusque-là de 120 sièges (il en comptera désormais 150), est dominé par des «élus» directs et indirects de Sa Majesté. Il faut savoir que le roi Abdallah II s'est donné le droit régalien de nommer 40 députés de son choix pour siéger au Parlement. Pour les 80 autres sièges restants, aucun parti n'a le droit de présenter plus de 27 candidats… La faute à une loi et un découpage électoraux cousus à sa mesure par le monarque pour annihiler les prétentions démocratiques de l'opposition. Pour ce faire, le roi Abdallah II a privilégié le vote des tribus - qui font historiquement allégeance au trône hachémite - au détriment des règles modernes et démocratiques qui ouvrent la compétition entre les partis et les blocs sur tout le territoire national. Ce régime électoral anachronique est ainsi basé, non pas sur la densité démographique des villes et des circonscriptions, mais sur les tribus. Ainsi, une tribu X n'a droit qu'à un seul siège, même si elle est composée de 500 000 habitants. Et, autre bizarrerie, ce sont les notables de la tribu qui choisissent l'heureux candidat et non pas les partis politiques. A titre d'exemple, ce que l'on appelle ici la Jordanie de l'Est (peuplée de vrais Jordaniens, par opposition à la population d'origine palestinienne), monopolise les trois quarts du Parlement, alors que Amman, qui abrite près de la moitié de la population de tout le pays, ne dispose que de cinq sièges. Le Jordanien sera appelé à prendre deux bulletins, l'un pour choisir un candidat individuel dans sa circonscription (tribu), et l'autre pour la liste nationale des partis qui ne saurait dépasser 27 candidats. De fait, les partis d'opposition, notamment le puissant Front de l'action islamique (bras politique des «Frères musulmans»), mais aussi les partis de la gauche, les nationalistes, les Nasséristes, savent que la partie est perdue d'avance. Il est en effet impossible pour un parti et même une coalition d'avoir une majorité, même relative au Parlement avec une loi électorale de type tribal. Or, la «réforme nationale» que l'opposition réclame depuis 2010 à coups de marches et de manifestations repose justement sur la nécessité de changer les règles du jeu électoral, de sorte que le parti vainqueur puisse désigner lui le Premier ministre et composer son gouvernement. Le roi a, certes, accepté cette fois que le prochain Premier ministre soit issu du Parlement élu. Mais en l'absence d'un parti majoritaire et grâce à son «quota» de députés et ceux qu'il aura parachutés par le biais des tribus, le chef du gouvernement ne pourrait être qu'un de ses hommes. Conscients que le jeu est fatalement fermé, les partis d'opposition sont donc forcés de boycotter les prochaines élections pour ne pas servir «d'alibi» démocratique. Pour le monarque, c'est la seule soupape de sécurité pour éviter un printemps en Jordanie sous la bannière des «Ikhwan», comme en Tunisie et en Egypte. Mais le patron du premier parti de Jordanie avertit : «Aussitôt la prochaine assemblée et le nouveau gouvernement installés, la rue va gronder pour réclamer leur dissolution.» Il n'a pas tout à fait tort puisque le roi Abdallah a déjà consommé cinq gouvernements depuis 2010 sous la poussée populaire.