Si vous vous rendez rue Didouche Mourad, à Alger, au niveau de la place Maurice Audin, vous remarquerez que la façade de la Grande-Poste s'inscrit très exactement dans la perspective de la rue, avec ses trois arceaux centraux, sa galerie supérieure à colonnes jumelées, le dôme central et les deux fausses tours latérales surmontées de petits dômes. Ce n'est pas le fait du hasard. Ses architectes avaient voulu cette disposition et, à cet effet, avaient conçu la façade en biais. Ils se nommaient Henri Voinot et Toudoire, le premier étant une figure de proue de l'architecture néo-mauresque, magnifique et perverse expression d'un courant orientaliste. Au début du dernier siècle, l'endroit se nommait Plateau des Glières et une église anglicane y trônait. Elle fut détruite pour laisser place au chantier de la Grande-Poste, débuté en 1910, achevé en 1913, ce qui fera un centenaire dès la fin de ce mois. Maintenant, si vous êtes arrivés à l'endroit indiqué, place Maurice Audin, vous devriez ressentir comme un malaise, un peu comme devant une saleté sur un visage aimé. Oui, je sais, il y a déjà la vulgaire structure en bâche sur les escaliers monumentaux de l'université. Mais, «écrasez votre cœur», comme dit l'expression populaire et avancez. Et, en vous rapprochant de ce que notre cher confrère Rachid Lourdjane a nommé «l'une des sept merveilles d'Algérie», vous pourrez voir alors, au sommet du monument, juste entre les deux dômes, un écran géant diffusant des publicités de produits de la Poste. Une horreur qui jure sur l'ensemble ! En 2009 déjà, une immense enseigne jaune et bleue avait été placée là puis retirée. On pensait la honte bue. Il en restait encore au fond. Les ouvriers algériens qui ont bâti et décoré cet édifice, des plâtriers de Oued Souf et des artisans émérites, tels que Hamimoumna, génie des arts traditionnels, doivent se retourner dans leur tombe. Que dire alors des postiers martyrs, puisque le drapeau national au sommet, l'un des plus vus à l'Indépendance et par la suite, est désormais caché ? Alors qu'à côté, les immeubles de la rue Larbi Ben M'hidi font l'objet d'une opération de réhabilitation, on nous offre ce cancrelat rectangulaire, alibi d'une prétendue modernité et d'un effort de communication. A-t-on étudié l'impact sur un bâtiment éprouvé par le temps et les fissures du dernier séisme ? Surtout, a-t-on mesuré l'importance architecturale, urbanistique et affective de ce monument qui – autre horreur – n'aurait pas encore été classé au patrimoine national ? La Grande-Poste d'Alger est le rendez-vous historique de la ville. Sur ses marches, par dizaines de milliers, des amitiés se sont liées, des amours se sont nouées, des familles s'y sont créées. Repère et symbole, elle incarne en partie l'histoire du pays et l'âme de sa capitale. Mais alors qu'en général l'horreur s'impose. Chez nous, elle dispose de budgets publics. Monsieur le directeur général d'Algérie-Postes, je vous prie humblement, etc.