Elle est alg�roise � maure m�me � mais son p�re, un vieux gouverneur fran�ais, en a fait un symbole du colonialisme. Belle, majestueuse, imposante� elle pla�t toujours autant malgr� ses 97 ans. Elle attire des milliers de personnes chaque jour mais pratiquement plus personne ne s�occupe d�elle. Ne cherchez plus, elle, c�est la Grande-Poste d�Alger. Un bijoux architectural laiss� � l�abandon. La Grande-Poste, ou l�Posta, c�est le c�ur de la capitale. Le marbre de son escalier est le point de rendez- vous favori des Alg�rois. L��difice abrite aussi le plus grand bureau de poste d�Alg�rie avec une moyenne de 9000 usagers par jour. Depuis sa construction au d�but du si�cle dernier, la Grande-Poste a toujours �t� un haut lieu du service public mais durant l��poque coloniale c��tait surtout le symbole d�une politique et d�un courant architectural impos� par un administrateur id�aliste et un groupe d�intellectuels pieds-noirs. Le style n�o-mauresque Tout a d�but� en 1903, avec la nomination de Charles C�lestin Jonnart au poste de gouverneur g�n�ral. L�homme est un habitu� de l�Alg�rie. Pour lui, la r�ussite de la colonisation fran�aise passe avant tout par un rapprochement avec les autochtones. Et ce rapprochement se doit d��tre avant tout culturel et religieux. Pour ce faire, le gouverneur g�n�ral Jonnart publie une s�rie de circulaires afin d�imposer un certain style architectural aux constructions publiques. Jonnart devient ainsi l�initiateur d�un nouveau mouvement stylistique aux tendances orientales : le n�o-mauresque. En 1904, les constructions scolaires sont les premi�res concern�es par ces d�cisions administratives. Ce choix n�est pas fortuit car la communaut� musulmane a montr� certaines r�ticences envers l��cole la�que, instaur�e en 1902. L�enseignement religieux doit �tre surveill� de pr�s et il est urgent de l�adapter � l�enseignement r�publicain. L��cole coranique situ�e � proximit� du mausol�e de Sidi-Abderahmane, dans la Basse-Casbah, est le premier �difice construit dans le style n�o-mauresque. La Medersa, �destin�e � l'enseignement sup�rieur des jeunes indig�nes�, a �t� inaugur�e en octobre 1904 par le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts. �C'est ainsi que sur les pentes de notre Casbah, dans le quartier m�me o� nous f�mes nagu�re tant de ruines pour la perc�e de la rue Marengo, nous �levons en ce moment un superbe monument oriental qui appara�t comme une r�paration aux ravages exerc�s en ces lieux. Ce haut �difice, dont on voit de l'esplanade de Bab-El-Oued se d�tacher la coupole sur le blanc chaos des maisons arabes, c'est la nouvelle Medersa�, �crit alors un officier fran�ais dans une correspondance adress�e au mar�chal Bugeaud. Charles C�lestin Jonnart consid�re que son initiative est une r�ussite. Il publie de nouvelles circulaires pour imposer le style n�o-mauresque aux constructions administratives et publiques et aux �difices communaux. En 1906, le gouverneur g�n�ral confie � l�architecte Henry Petit, qui s�est charg� de la construction de la Medersa de la rue Marengo, la r�alisation du si�ge du journal La D�p�che Alg�rienne, et celle du si�ge de la Pr�fecture. Ces deux �difices existent toujours. Le premier a �t� r�cup�r� par le RND de Ouyahia et le second a gard� sa fonction initiale puisqu�il abrite les services de la Wilaya d�Alger. En 1909, Petit ach�ve la construction du magasin des Nouvelles Galeries, situ� rue d�Isly, actuellement Larbi-Ben-M�hidi. Symbole de la puissance coloniale Mais le gouverneur Jonnart veut �riger un monument symbolisant en m�me temps la puissance du colonialisme, la r�ussite des Fran�ais d�Alg�rie � qui �prouvent alors un certain complexe envers leurs compatriotes de M�tropole � et auquel pourraient s�identifier l�ensemble des communaut�s. Son initiative est d�ailleurs encourag�e par un groupe d�intellectuels piedsnoirs. Les architectes Voinot et Tondoire sont charg�s de r�aliser ce monument d�di� exclusivement aux PTT (Poste, T�l�graphe et T�l�phone), puissante institution de service public durant l��poque de l�empire colonial fran�ais. La nouvelle recette postale doit remplacer l�ancienne poste situ�e rue de Strasbourg, devenue trop exigu� pour une ville en constante expansion. �La Grande- Poste a �t� �difi�e sur les restes de l�ancien fort turc situ� sur le bras de mer de Ras Taffoura. De ce fort, il ne reste plus qu�une batterie de canons que l�on peut voir au niveau du parc Sofia. La l�gende dit que c�est sur la plage de Ras Taffoura que Sidi Ouali Dada a frapp� la mer de son gourdin pour d�clencher la temp�te qui allait faire couler la flotte de Charles Quint�, explique Belkacem Babaci, sp�cialiste de l�histoire d�Alger. �De part sa situation, la Grande- Poste est devenue le c�ur de la ville europ�enne. A proximit� de ce monument, il y avait une statue de Jeanne d�Arc ainsi qu�un buste du duc d�Isly. Sur le plateau des Gli�res, situ� en contrefort, on pouvait voir le monument aux Morts ainsi qu�une grande horloge florale. C��tait toute la puissance de la France qui �tait repr�sent�e dans ce quartier d�Alger�, ajoute M. Babaci. Reste que Voinot et Tondoire ont r�alis� une magnifique �uvre d�art. Avec sa grande coupole et ses deux faux minarets, la Grande-Poste est d�une beaut� saisissante. La fa�ade principale est orn�e de trois arceaux et d�une galerie sup�rieure � colonnes jumel�es. Un large escalier de marbre couleur ambre permet d�acc�der sur le parvis qui donne sur trois portes monumentales taill�es dans du bois pr�cieux. A l�int�rieur, le pr�cieux est conjugu� � toutes les formes. Avec ses fa�ences, arcs, coupoles, stalactites et stuc cisel�, le plafond de la salle principale est un joyau architectural. Les plans ont �t� trac�s par les Europ�ens mais l�essentielle de la main-d'�uvre �tait alg�rienne et marocaine. Certains ouvriers y laisseront la vie. A l�instar des pl�triers de Guemar, petite oasis de la r�gion de Oued-Souf, pass�s ma�tres dans l�art du stuc cisel�. Pour sa part, Jonnart a tenu � marquer les lieux de son empreinte. �La hauteur de la construction qui a embelli l��uvre avait �t� choisie par le gouverneur g�n�ral Jonnart�, peut-on lire dans des cartouches polychromes. La religion est �galement tr�s pr�sente dans ce d�cor oriental � travers les inscriptions suivantes : �Dieu est vainqueur�, �Le pouvoir �ternel Lui appartient� ou encore �Il n�y a de puissant que Dieu�. Dans leur �uvre, Voinot et Tondoire auront su allier art, spiritualit� et fonctionnalit�. Car la Grande-Poste est avant tout un bureau de poste qui offre une multitude de services � la pointe de la technologie du d�but du XXe si�cle. Sur le plan politique et culturel, le r�sultat n�est pas fameux. Dans l�esprit de l�administration coloniale, l�adoption du style n�o-mauresque devait �tre un facteur de rapprochement avec la communaut� musulmane. Mais cela n�aura finalement aucun effet sur le quotidien des �indig�nes�, devenus �trangers dans leur propre pays. A titre d�exemple, la quasi-totalit� des employ�s de la Grande-Poste �taient europ�ens. Seuls deux emplois �taient ouverts aux Alg�riens: manutentionnaire ou t�l�graphiste. �Dans ma jeunesse, je r�vais d��tre t�l�graphiste. C��tait un travail simple, il suffisait de livrer les t�l�grammes � domicile. En plus, c��tait plut�t bien pay� car les t�l�graphistes avaient toujours droit aux pourboires et surtout aux �trennes lors des f�tes de fin d�ann�e�, se rappelle ammi R�dha qui a fini par faire carri�re dans le service public. C��tait l��poque de l�almanach et des standardistes du central t�l�phonique. �Comme dans le 22 � Asni�res, le fameux sketch de Fernand Raynaud�, note Belkacem Babaci en souriant. T�moin de l�Histoire Apr�s les ann�es 20, le style n�o-mauresque est pass� de mode. Plus question de concilier les cultures arabo-islamique et fran�aise. L�administration coloniale ne veut plus s�encombrer des d�cisions id�alistes du gouverneur Jonnart. Ce dernier conna�t n�anmoins la gloire en devenant �immortel� puisqu�il fait son entr�e � l�Acad�mie fran�aise en 1923. La transformation du paysage urbain d�Alger ne s�arr�te pas pour autant. La ville devient un immense atelier o� se c�toient diff�rents styles et courants architecturaux. Mais la Grande-Poste reste incontournable. Irrempla�able. C�est le monument attitr� des �diteurs de cartes postales. La Grande-Poste est � Alger ce que la tour Eiffel ou l�Arc de Triomphe sont � Paris. La Grande-Poste est aussi un t�moin silencieux de l�histoire d�Alg�rie. Durant la guerre de Lib�ration, les postiers alg�riens qui y travaillaient ont pay� un lourd tribut. Trente-six d�entre eux ont perdu la vie, presque tous assassin�s par l�OAS. A l�int�rieur de la grande salle, une plaque comm�morative leur rend hommage. La folie meurtri�re de l�OAS a �galement caus� la mort d�une cinquantaine de civils fran�ais qui manifestaient pour �l�Alg�rie fran�aise�. Les faits remontent � la fin mars 1962, lorsque le g�n�ral Salan, chef de l�organisation terroriste, a tent� de faire capoter l�accord de cessez-le-feu sign� entre le FLN et l�Etat fran�ais en tuant des Alg�riens sans d�fense. En parall�le, l�OAS incite la communaut� europ�enne � manifester dans les rues. Le 26 mars, alors qu�une foule nombreuse manifeste devant la Grande- Poste, des coups de feu �d�origine inconnue�, d�apr�s la presse, sont tir�s vers des militaires assurant l�ordre public. Ces derniers r�pliquent en mitraillant la foule � bout portant. Le bilan officiel de la �fusillade de la rue d�Isly� est de 56 morts et 150 bless�s. Pour les historiens, cet �v�nement marquera le d�but du d�part massif des pieds-noirs vers la France. Construite dans l�esprit de rapprocher les deux communaut�s, la Grande-Poste aura finalement �t� le th��tre de la rupture. Gros sous et convoitise Cinquante-quatre ans apr�s l�ind�pendance, le monument est rest� un p�le d�attraction incontournable dans la capitale. Durant les ann�es 80, les autorit�s ont tent� de d�placer le centre de �gravit� d�Alger vers Riadh-El-Feth et le monument des Martyrs. La tentative a finalement �chou�. L�explication est simple : la Grande-Poste est la plus importante recette postale d�Alg�rie. �Nous accueillons entre 8000 et 9000 personnes par jour. Durant l�ann�e 2005, nous avons trait� 375 796 ch�ques postaux et 38 700 mandats, et plus de 80 000 �pargnants sont inscrits dans notre fichier�, indique fi�rement Abderrahmane Moundji, receveur principal de la Grande-Poste. Notre interlocuteur �vitera cependant d�annoncer son chiffre d�affaires. �C�est un secret que nous ne pouvons divulguer. Mais je peux vous dire que m�me un comptable exp�riment� aurait du mal � lire ce chiffre!� Dans la s�rie des records, la Grande-Poste a �galement �t� class�e premier �tablissement africain par Western Union, leader mondial du transfert de devises. Sur le plan financier, la Grande-Poste est une structure tr�s rentable. Tellement rentable qu�elle a �t� convoit�e par plusieurs op�rateurs lors de la restructuration du secteur des Postes et des T�l�communications. Une convoitise qui a failli causer la perte de ce joyau. Un responsable du minist�re de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication r�v�le : �En 2000, lors de l�entr�e en vigueur de cette r�forme, le minist�re a proc�d� au partage du patrimoine. Le principe �tait simple: le bien devait revenir � l�entreprise qui occupe le plus d�espace. Donc si on applique ce principe, la Grande-Poste aurait d� �tre c�d�e � Alg�rie T�l�com et non pas � Alg�rie Poste puisque l�op�rateur t�l�phonique occupe beaucoup plus d�espace. Mais voil�, au niveau du minist�re certains responsables savaient, du fait de son statut de soci�t� par actions, qu�Alg�rie T�l�com serait appel�e � �tre privatis�e et donc rachet�e par un op�rateur �tranger. En plus de tout le r�seau t�l�phonique, ce dernier pourrait �galement avoir la Grande-Poste sur un plateau d�argent.� Le monument est sauv� in extremis par les membres de cette commission qui ont rajout� une clause au document portant cession des biens immobiliers du secteur des PTT. �Cette clause pr�cise que les �difices susceptibles d��tre class�s patrimoine national resteront la propri�t� exclusive de l�Etat alg�rien. Une solution a �t� trouv�e dans le cas de la Grande-Poste, puisqu�un droit de jouissance a �t� accord� � Alg�rie T�l�com et Alg�rie Poste�, explique ce responsable qui a souhait� garder l�anonymat. La b�tisse abrite actuellement les deux op�rateurs ainsi que certains services administratifs du minist�re de tutelle. Et cette situation est des plus pr�judiciables car ce monument presque centenaire n�cessite un entretien consid�rable. �Un vaisseau dirig� par plusieurs ra�s finit par couler�, dit un proverbe bien connu des marins. Pour preuve, il nous a �t� quasiment impossible de visiter certains endroits, notamment les sous-sols, les tunnels (l�un aboutirait au port) ainsi que les toits. Une telle visite n�cessite de multiples autorisations difficiles � obtenir en p�riode de cong�s. Ici, tout a �t� divis�, morcel� et compartiment�. Les bureaux, les �tages et m�me les escaliers sont aujourd�hui propri�t� de tel ou tel op�rateur. La Grande- Poste aurait pu se passer des caprices de l�administration, elle qui doit faire face aux agressions du temps. Les s�ismes qui ont frapp� la capitale ces derni�res ann�es ont laiss� des s�quelles. La coupole et les murs de la salle principale sont fissur�s. La situation est plus qu�urgente. La Grande- Poste doit �tre class�e patrimoine national. Sinon nos enfants ne pourront plus la contempler ni se donner rendez- vous sur ses marches de marbre couleur ambre. Alors la Grande-Poste ne sera qu�un vieux conte �crit par un vieux gouverneur fran�ais� T. H. Sources : Les Cahiers du centenaire de l�Alg�rie. CLASSEMENT DU MONUMENT AU PATRIMOINE NATIONAL Il suffit de demander ! Contrairement � ce que l�on croit, la Grande-Poste n�est pas un monument class� patrimoine national. La cause de cet impair est des plus surprenantes. �Ce bien n�est toujours pas class� pour la simple raison que personne n�en a fait la demande�, explique Mme Cherchalli, sous-directrice de la conservation et de la restauration du patrimoine culturel au minist�re de la Culture. Selon elle, �la demande peut �tre introduite par un citoyen, une association, une entreprise ou encore une institution�. Dans ce cas, il est �tonnant que le minist�re de la Culture ne se soit pas autosaisi puisqu�il en a la possibilit�. Cela est valable pour le d�partement des Postes et des T�l�communications qui semble bien incapable de restaurer et d�entretenir cette b�tisse. Reste qu�une telle op�ration n�cessite d�importants moyens financiers et un savoir en mati�re de restauration que, malheureusement, aucune entreprise alg�rienne ne ma�trise actuellement. T. H. Les PTT durant les premi�res ann�es de l�occupation fran�aise Au d�but de la colonisation de l�Alg�rie, le service postal �tait assur� par l�institution militaire. Le courrier traversait la M�diterran�e � bord des navires de guerre puis �tait achemin� � travers le territoire par un r�seau de navettes postales. La tutelle de l�arm�e sur la Poste prendra fin en 1960, elle sera alors confi�e au Gouvernement g�n�ral de l�Alg�rie. Les PTT, Poste, T�l�graphes et T�l�phones, deviendront une administration ind�pendante en 1896. Le r�seau postal se d�veloppe tr�s vite. Le nombre de bureaux de poste atteint les 683 dans les ann�es 20 et pr�s de 89 millions de correspondances seront trait�es durant l�ann�e 1926. Le service des ch�ques postaux est entr� en fonction en 1921, de 2152 comptes � ses d�buts ce r�seau d�passe les 13000 comptes en l�espace de 7 ans. Le t�l�graphe a fait son apparition � Alger en 1842. Durant les premi�res ann�es, ce moyen de communication �tait utilis� exclusivement par les militaires. Son emploi s�est par la suite d�mocratis�. En 1854, le r�seau t�l�graphique d�passe les 1500 kilom�tres. L�administration coloniale investit �galement dans le d�veloppement du t�l�phone. Le service t�l�phonique a d'abord �t� conc�d� en 1882 � une compagnie priv�e, la Soci�t� g�n�rale des t�l�phones, qui a install� et exploit� pendant sept ans les r�seaux d'Oran et d'Alger. En 1889, ce r�seau est pris en charge par l'administration des PTT. D�une longueur de 469 kilom�tres en 1900, ce r�seau atteint 22 600 kilom�tres en 1928.