Le débat sur le code de la famille, qui devrait logiquement intéresser la société politique et civile dans son ensemble, prend l'aspect d'un monologue animé par les milieux islamistes qui occupent le terrain, seuls, usant de la surenchère politique, mais aussi de l'arme de l'intimidation, jetant l'anathème sur leurs adversaires qualifiés d'apostats comme au « bon vieux temps » des fetwas qui ont précipité le pays dans l'abîme dont il n'est toujours pas sorti aujourd'hui encore. Pourtant, les enjeux de ce texte sont tellement importants en ce qu'il vise à redéfinir les contours de la cellule familiale pour la mettre en conformité avec notre temps et nos vraies valeurs pour laisser le monopole de la vérité entre les mains d'un groupe social, d'un parti. S'il est de bonne guerre que les partis islamistes et leurs relais dans la société s'agitent dans tous les sens pour baliser le débat dans le sens de leur combat visant à vider le code de la famille de toute sa substance moderniste, on a, en revanche, beaucoup de peine à expliquer cette désertion massive des forces de progrès par rapport à ce dossier. Depuis que le débat est porté sur la place publique, les partis islamistes et les milieux conservateurs qui partagent la même vision de la famille ont mis les bouchées doubles, multipliant déclarations et sorties sur le terrain pour tenter d'influer sur le cours des événements en amenant le président Bouteflika à retirer le projet. Le ton est en effet bien donné et il faudra s'attendre sans nul doute à ce que le mouvement gagne en ampleur et implique d'autres segments de la société de la même mouvance les zaouïas qui demeurent pour le moment dans l'expectative ne sachant pas quel parti prendre du fait de leur double allégeance au Pouvoir et à la famille islamiste. La dernière élection présidentielle a montré le poids insoupçonné des zaouïas et leur ancrage dans la société, encouragées par la politique de réhabilitation de ce mouvement religieux menée par Bouteflika depuis son arrivée à la présidence de la République. Les zaouïas, qui sont pourtant organisées en association nationale, n'ont pas encore fait connaître leur position sur ce code. Il sera difficile à Bouteflika, qui avait reçu un soutien sans faille de ce mouvement, de ne pas tenir compte de leurs observations sur ce dossier ; il a envers les zaouïas une dette morale à laquelle il ne pourrait pas se soustraire. Face aux milieux islamistes qui monopolisent pour l'heure le débat sur le code de la famille, il est tout de même paradoxal que, pour la première fois que le Pouvoir présente un projet qui va globalement dans le sens des aspirations des forces de progrès, il ne trouve pas les relais escomptés dans la société civile et dans les partis se réclamant de cette mouvance pour donner de l'épaisseur aux amendements introduits et les accompagner sur le terrain du débat et de l'argumentaire pour les mener à bon port. En l'absence d'interlocuteurs pour donner la réplique aux islamistes sur ce dossier, c'est l'Exécutif, à sa tête le ministre de la Justice, qui parraine ce dossier relevant organiquement de son département ministériel, qui investit le terrain du débat et de la polémique en défendant pied à pied le projet, répondant du tac au tac aux déclarations des dirigeants des partis islamistes. On assiste pour le moment à un duel à fleuret moucheté : islamiste-Exécutif via le ministre de la Justice. Un grand absent dans ce débat : les démocrates et les forces de progrès qui suivent en spectateurs le bras de fer qui se joue sans eux autour de ce projet qu'ils avaient pourtant porté à bout de bras durant toutes ces dernières années même au plus fort du terrorisme et de la menace intégriste. Surprenant : même les femmes et les hommes qui avaient incarné ce combat pour l'émancipation de la femme et de la famille dans les moments les plus difficiles qu'a eus à traverser le pays sont inscrits aux abonnés absents ! Comment expliquer le silence ou le désintérêt de cette mouvance par rapport à ce projet ? Faut-il l'interpréter comme un signe d'adhésion ou de rejet des amendements contenus dans le projet endossé par le gouvernement ? Ou bien l'expression d'une marque de lassitude, conséquence directe des dommages collatéraux provoqués par les résultats de l'élection présidentielle d'avril dernier dans les rangs des candidats démocrates et de leurs sympathisants ? Ou alors, dernière hypothèse, faut-il chercher les causes carrément dans ce souci qui caractérise certaines personnalités du personnel politique et de la société civile qui gravitent à la périphérie du Pouvoir tout en jouant aux opposants de ne rien dire et de ne rien faire qui puissent compromettre leurs chances d'être appelées à un poste de responsabilité ? L'enjeu de ce texte qui transcende tous les calculs partisans ne devrait pas autoriser des forces qui ont juré fidélité à un combat de déserter le terrain à un moment aussi crucial où se joue le devenir de la famille algérienne, laissant le champ libre à d'autres forces qui n'attendaient pas une capitulation aussi facile de cette mouvance.