- Quelle évaluation faites-vous du système de santé en Algérie, notamment ces dernières années ? Nous avons un excellent système de santé depuis 1962. Nos aînés avaient organisé la médecine dans les maquis. A l'indépendance, ils ont institué le système national de santé publique. Ce système nous a permis de lutter contre des maladies transmissibles et invalidantes et d'être un modèle au plan international, à savoir la lutte contre la tuberculose (dispensaire antituberculeux), la poliomyélite, la rougeole… Il a permis également de prendre en charge la mère et l'enfant à travers les PMI (protection maternelle et infantile). Par rapport à cette époque, l'éducation et l'information sanitaire ainsi que la sensibilisation de la population étaient plus efficaces qu'actuellement, et ce avec les moyens de l'époque.
- Que voulez-vous dire par «efficace» ?
C'est le fait que le message circulait dans la rue, parmi la population, surtout les enfants. Alors qu'actuellement, la sensibilisation se résume en une méthode désuète. On continue à imprimer des affiches qui vont faire tapisserie dans les couloirs. Les médecins, les TSS et les sages-femmes ont une formation technique. Mais le reste du personnel, comme les agents de sécurité, n'est pas formé au travail dans une polyclinique. Ce qui entraîne des dysfonctionnements qui influent sur la bonne prise en charge des malades.
- L'agression des médecins devient récurrente dans nos hôpitaux. Quel commentaire faites-vous de cette situation ?
Celui qui est visible c'est le médecin. Le responsable de l'approvisionnement en médicaments n'est pas en contact direct avec les citoyens. Il n'est pas responsable du manque de médicaments, d'oxygène, etc. Mais dans le cas par exemple des services d'urgence, c'est le médecin qui fait face à la population.
- Quel regard portez-vous sur le système sanitaire adopté suite aux réformes de 2008 ?
Jusqu'en 2008, le système sanitaire était un hôpital auquel étaient rattachées des unités : polycliniques, centres de santé et salles de soins. Mais le secteur de santé est atteint, depuis les réformes, d'une maladie nommée «hospitalo-centrisme». Le budget affecté au secteur de santé comprenait et l'hôpital et les unités de base. Cependant, l'hôpital consommait tout le budget. Au moment où l'on discutait de l'achat d'équipements ultramodernes, des unités de soins manquaient de tensiomètres. A partir de 2008, au lieu de corriger les dysfonctionnements et maintenir le secteur sanitaire, on a préféré autonomiser les unités de soins de base sous l'appellation «établissement public de santé de proximité».
- Quel est l'impact de ce nouvel organigramme ?
Il n'est pas exagéré de dire que la réforme hospitalière a été concoctée dans des bureaux. Le système est malheureusement essentiellement bureaucratique. Tout fonctionne comme auparavant ; seule l'appellation change. Qu'est-ce qu'une polyclinique ? Elle est d'abord située dans un quartier et elle est accessible. Cette structure sanitaire assure la vaccination et les consultations. Cependant, une routine s'y installe. Une routine qui entraîne une sorte de paralysie. Ainsi, la santé de proximité d'après les normes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne peut être réalisée dans les conditions actuelles. Cette unité de soins de base est dirigée par un médecin-chef et un surveillant médical, chapeautés par un médecin coordinateur. Hélas, dans de nombreux cas, ces surveillants ne sont que les supplétifs de l'administration. Ce sont des médecins qui n'exercent plus. Alors que leur rôle consiste à créer une équipe de soins, une harmonie pour la bonne prise en charge du patient. Cette fonction est réduite, dans certains cas, à une gestion administrative : les absences, les questionnaires, etc. Tout ce qui est administratif a pris le dessus. Or, dans toute gestion d'une structure, plus le nombre d'absences augmente, plus il y a malaise sur le lieu de travail. De plus, le travail de prévention n'est exercé que lorsque l'administration centrale envoie une note de service. La polyclinique est renfermée sur elle-même. Le médecin n'a pas le droit de se déplacer en dehors cet établissement de santé. Or, la situation sociodémographique (handicapés, troisième âge…) impose une autre manière de prendre en charge les malades, en l'occurrence les soins à domicile.
- Que suggérez-vous ?
Il faut séparer l'administration de l'activité médicale ou, du moins, faire en sorte qu'il y ait une gestion collégiale effective sur le terrain. La polyclinique doit s'ouvrir et attirer les patients. Elle ne doit pas se contenter des consultations dans des bureaux qui deviennent des distributeurs de médicaments. Il faut que la principale source d'information soit le médecin-chef et le surveillant médical. Ce sont eux qui sont quotidiennement au courant de ce qui se passe dans les polycliniques. Le médecin coordinateur est un obstacle qui n'a pas lieu d'être dans la proposition. Le médecin-chef devrait être le plus compétent, le plus expérimenté et surtout reconnu et désigné par ses pairs et non pas par l'administration. Son mandat doit être renouvelable. Certains médecins-chefs et coordinateurs ont été désignés depuis des années, voire des décennies. Pour ce qui est des autres structures constituant le système sanitaire dont le Service d'épidémiologie et de médecine préventive (Semep), on doit réexaminer à la lumière des défis de santé, le fonctionnement afin d'éviter qu'ils deviennent des administrations. Le recueil des statistiques doit être impérativement revu et il faut y apporter le sérieux qu'il nécessite. Outre le Semep, le Bureau communal d'hygiène (BCH) doit être présent sur le terrain et non pas dans les bureaux de la commune. Son existence ne doit pas être consultative. En matière d'hygiène et de protection, le responsable du BCH doit avoir des prérogatives pour accomplir sa mission convenablement. Il ne suffit pas de consulter, il faut agir pour faire cesser sur le terrain toute atteinte à la santé publique qui peut être d'un effet immédiat. Et la réaction ne doit pas être sous forme de dossier à étudier.