« Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est un signe qu'on n'a traversé aucun enfer. » Cioran Sale temps pour Charles Taylor qui vient d'être arrêté et transféré devant le tribunal spécial de l'ONU pour la Sierra Leone qui l'accuse de crimes contre l'humanité. En fait, les capacités de nuisance de ce criminel de guerre dépassent les frontières nationales pour toucher tous les pays mitoyens du Liberia. Honni par la Sierra Leone, il a irrité le Ghana et défié le gouvernement ivoirien qui le juge responsable de l'approvisionnement en armes de la rébellion. Sans compter les multiples atrocités commises dans son propre pays. « Taylor est un cancer. Si nous ne l'éliminons pas maintenant, nous serons encore là, dans dix ans, à regretter qu'il déstabilise toute la sous-région », avait prédit en 1993 Lansana, le président guinéen. Il n'avait pas tort et l'histoire lui a donné raison. Car, c'est bien Taylor qui a été le principal détonateur de la guerre civile qui a éclaté en 1989 et dévasté le pays, de longues années durant. Né d'un père Noir américain et d'une mère libérienne, descendant d'anciens esclaves affranchis, devenus l'élite du pays ayant la haute main sur les affaires du Liberia depuis son indépendance en 1847, Taylor s'expatrie aux Etats-Unis à l'âge de 24 ans pour y étudier. En 1977, il est diplômé en économie du Bentley College dans le Massachussets. C'est durant cette période que Taylor prend goût à la politique en intégrant l'Union of Liberian Associations, dont il devient le président. Ce parti mène des attaques incessantes contre le régime de l'époque, incarné par le président Tolbert. Ce dernier finira par être éjecté du pouvoir par un coup d'Etat fomenté par un sergent du nom de Samuel Doe qui l'exécutera dans des conditions qui avaient soulevé l'indignation de la communauté internationale. Un chef de guerre sans états d'âme Fort de son pouvoir, Doe s'attachera les services de Taylor qui sera nommé chef des services généraux du gouvernement. Il y restera trois ans, en prenant le soin d'amasser quelque milliers de dollars détournés qui lui vaudront son poste. Il s'enfuit alors aux Etats-Unis où il est arrêté et emprisonné. Bénéficiant de complicités, il s'arrangera pour se faire la belle et retourner régler ses comptes à son mentor en organisant une rébellion à la tête du National Patriotic Front of Liberia, dont il devient le leader vers la fin des années 1980. Taylor organise ses milices qui finiront vite par contrôler une grande partie du pays, mais la soif du pouvoir gagne les chefs de son propre camp, dont principalement Prince Johnson, un de ses lieutenants qui fait scission avec 1000 hommes surarmés qui parviendront à déloger et à assassiner Doe, dans pratiquement les mêmes conditions horribles que son prédécesseur. Les troupes de Johnson victorieuses ont le pouvoir à portée de main et ne veulent pas lâcher prise, alors que les milices de Taylor veulent avoir leur part du gâteau. Ce sera alors un effroyable affrontement entre les deux forces, qui débouche sur une innommable guerre civile. Le Liberia vivra des situations drramatiques durant plus de 7 années avec leurs lots de drames, de mort et de désolation, impliquant même les enfants. En juillet 1997, des élections sont organisées sous le contrôle des observateurs étrangers et Taylor est élu avec 75% des voix. Malgré ce score confortable, le nouveau chef d'Etat est soumis à un véritable tir croisé de ses opposants qui réagissent violemment à la dictature imposée. Ce seront d'abord les « Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie », soutenus par les Etats-Unis et par la Guinée voisine, puis le mouvement pour la démocratie du Liberia, groupe constitué en majorité de membres de la tribu de Samuel Doe, le prédécesseur de Taylor. Parallèlement sur le plan international, Taylor est de plus en plus isolé. Il s'est vu imposer des sanctions par le Conseil de sécurité des Nations unies, notamment un embargo sur les exportations de diamants de la guerre et de bois et l'interdiction de voyager pour lui et son gouvernement. Acculé, Taylor quitte le pouvoir en 2003 après un deal avec l'ONU et les pays africains. Il s'exile au Nigeria où, dit-on, il continue à gérer à distance les affaires de son pays. Jusqu'au moment où il décide de changer d'air en tentant de rallier la frontière camerounaise. Pressé par la communauté internationale, le président nigerian s'emploie à arrêter et extrader l'encombrant hôte, répondant ainsi à la demande formulée le 17 mars dernier, par la présidente du Liberia Ellen Sirleaf. Taylor est inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par le tribunal spécial pour la Sierra Leone où l'ancien président a « parrainé » la guerre civile dans ce pays. Par ailleurs, il est accusé de massacres, de viols et du recrutement d'enfants soldats. Les Nations unies avaient lancé un mandat d'arrêt international à son encontre, gelé ses avoirs et dénoncé dans un rapport l'asile accordé par le Nigeria. Chef de guerre redoutable, dictateur, Taylor est à l'origine d'une guerre civile impitoyable qui a duré plus de 7 ans et fait près de 200 000 morts et plus d'un million de réfugiés. C'est donc avec un grand ouf de soulagement que son départ le 11 août 2003 a été accueilli par l'opinion internationale. Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait déclaré : « Cela pourra enfin marquer le début de la fin du long cauchemar du peuple libérien. » Pourquoi Taylor est déféré devant le tribunal de Free Town ? Une région déstabilisée Selon l'acte d'accusation, Taylor rencontre Sankoh, un autre sanguinaire à la fin des années 1980 en... Libye, où les deux hommes font cause commune. Afin d'accéder aux ressources naturelles de la Sierra Leone en particulier les diamants et pour déstabiliser le pays, Taylor aurait financé, apporté son soutien matériel des armes et des minutions ainsi que l'entraînement militaire au Revolutionary United Front pour des actions armées en Sierra Leone où les attaques étaient accompagnées de meurtres, violences physiques et sexuelles, mutilations à l'égard des civils, pillage et enlèvements de nature à terroriser la population. Même les forces de maintien de la paix des Nations unies en prendront pour leur grade. Vu la « personnalité » de l'incriminé, la cour spéciale pourrait délocaliser le procès à La Haye pour des raisons de sécurité. Dans une déclaration, la semaine écoulée, la présidente libérienne n'a pas caché ses craintes. « La paix est fragile, il y a beaucoup de partisans de Taylor dans notre pays où il y a énormément d'intérêts commerciaux. » La présidente qui a été ministre dans le gouvernement nommé par Taylor sait de quoi elle parle, car même incarcéré, Taylor hante les esprits dès lors qu'il dispose toujours de puissants réseaux et continue de constituer une menace pour la stabilité ouest-africaine. Selon l'organisation américaine « Coalition pour la justice », le chef de guerre aurait effectué des transferts bancaires depuis son exil protégé au Nigeria vers ses partisans à Monrovia. Or le président nigerian Obasango ne lui avait accordé l'exil en accord avec les Occidentaux qu'en échange de son retrait définif de la vie politique. Il doit d'ailleurs s'estimer heureux de bénéficier d'une amnistie pour les crimes commis au Liberia. Les enfants soldats Après l'arrestation du tyran de Monrovia, Human Rights Watch exulte : « C'est un grand jour pour la justice, non seulement pour les victimes de la guerre cruelle de la Sierra Leone mais aussi pour la lutte contre l'impunité. » Un clin d'œil pour d'autres dictateurs comme Hissen Habre, Mengustu... Le porte-parole de Taylor au Nigeria a dit : « Les dirigeants africains, qui avaient signé l'accord au terme duquel Taylor s'était exilé en renonçant à la présidence, étaient convenus qu'il ne devait pas être remis au tribunal. Il y a beaucoup de dirigeants africains dont les pays connaissent des situations de conflit comme le Soudan, l'Ouganda, le Congo... Ils pourraient ne plus faire confiance à une solution africaine et refuser de démissionner de leur propre gré comme l'a fait Taylor. » Si l'on se satisfait de la mise hors d'état de nuire de l'ex-président, beaucoup redoutent que le retour de Taylor sur la scène ne ravive les vieilles blessures au détriment d'une paix fragile. La présidente libérienne a déclaré ne pas vouloir « réveiller les fantômes du passé », mais selon un analyste, une menace du congrès américain de conditionner l'aide au Liberia à la demande d'extradition explique en partie le revirement de Mme la présidente. Mais Sirleaf peut compter sur ses électeurs comme ce citoyen libérien qui a fait en 2000 un dessin sur Taylor où on le voyait distribuer de l'argent à tort et à travers dans une boîte de nuit, tandis que les gens mourraient à l'extérieur. Peu après, des soldats sont arrivés chez lui en jeep, lui ont déchiré ses vêtements et l'ont fait marcher jusqu'au palais présidentiel, couvert de la simple ardoise, objet du « forfait ». Les sbires de Taylor ont ensuite détruit sa maison et il a dû s'enfuir au Ghana. Aujourd'hui, ce même citoyen est de nouveau chez lui, plein d'espoir pour l'avenir. « Il y a plus de braves gens que de gredins au Liberia, assure-t-il. Il est temps que les braves gens aient le dessus... » Parcours Charles Ghankay Taylor est né en 1948 dans une banlieue aisée de Monrovia. Après avoir obtenu un diplôme d'économie aux Etats-Unis, il entre en 1979 dans la fonction publique libérienne. On lui donne alors le surnom de « Superglu » pour sa tendance à conserver une grosse partie de l'argent qui passe entre ses mains. En 1983, le président libérien Samuel Doe l'accuse d'avoir détourné près d'un million de dollars. Taylor s'enfuit aux USA où il est arrêté et emprisonné... Il parvient à s'évader et rallie la Côte d'Ivoire. Il devient un proche de Kaddafi. En 1989, il entre au Liberia et déclenche la guerre civile qui va durer 14 ans. Il réussit à renverser Doe qui sera torturé à mort en septembre 1990. Les troupes de Taylor sont aujourd'hui accusées d'avoir commis les plus terribles massacres. En 1997, les Libériens élisent Taylor à la présidence. Le 11 août 2003, il quitte le pays pour un exil doré au Nigeria.