Extraordinaire survivance que celle de Yennayer qui a traversé plus de deux mille ans, illustrant de manière magistrale la force profonde de la culture, semblable à celle de la vague, liquide, fragile, face à la feinte solidité de la falaise. Le nouvel an amazigh, issu du calendrier agraire qui prévalait dans le monde méditerranéen antique, était surtout une manière d'affronter les affres de l'hiver et d'espérer un printemps fructueux. Aujourd'hui, la majorité des Algériens vit en ville mais la vieille crainte paysanne d'une terre stérile semble encore les habiter. Doit-on lui attribuer la pérennité de Yennayer et, même, sa résurgence ces dernières années ? Celle-ci serait plutôt liée au désir de reconquête du passé que l'on peut retrouver par exemple dans le succès des livres historiques ou la passion renouvelée des musiques anciennes et traditionnelles. Evidemment relatif, cet élan témoigne cependant d'une soif dans la société à l'égard de toutes les racines, soit perdues, soit méconnues, et qui se trouvent renforcées par l'appréhension commune à tous les peuples d'une noyade dans un maelstrom culturel mondialisé. Extraordinaire diversité que celle de cette fête, essentiellement familiale sur l'ensemble du territoire national, qui a donné, ici ou là, autour d'un dénominateur commun, de riches variantes. Le repas copieux avec des cuillères pour les absents, le mythe de laâdjouza (la vieille), le plateau de treize friandises et fruits secs, ou encore le carnaval populaire tel que l'a conservé la région de Beni Snouss près de Tlemcen, etc. Célébré surtout la veille du 12 janvier, Yennayer traverse l'ensemble du continuum culturel maghrébin. Mais l'on peut se demander pourquoi sa journée n'est pas fériée quand elle permettrait d'harmoniser davantage le vécu de la culture algérienne dont l'amazighité est l'une des constituantes majeures ? Il est remarquable que dans l'Iran des mollahs, le Norouz, premier jour de l'an persan (21 mars), soit férié, chômé et payé, de même que Sizdah Bedar, fête traditionnelle qui intervient 13 jours après. Ces fêtes anciennes liées au zoroastrisme ont pourtant fini par être acceptées par l'ordre des Ayatollah malgré ses tentatives de les détourner. Il reste aussi à s'interroger sur ce décompte de 2963 années du calendrier amazigh décidé (comment d'ailleurs ?) à partir de la prise de pouvoir dans l'Egypte pharaonique d'un prince libyen d'origine berbère ? Pourquoi pas la naissance de Massinissa ? Ou tout autre événement emblématique de l'histoire amazighe ? Voilà une question qui mérite d'être étudiée par des historiens, des intellectuels et hommes de culture, de manière scientifique et libre et pas autrement. Mais, sincèrement, avec tout mon respect pour ce fondateur de la 22e dynastie pharaonique – Sheshonq, Sesonchôsis ou Shishak selon les sources – je ne me sens personnellement aucune affinité particulière avec lui. Bon Yennayer à tous !