L'obligation de résultats - et la performance qui va avec - sont les deux exigences avancées par le ministre de l'Education nationale dans toutes ses sorties médiatiques. Une préoccupation louable qui reste toutefois tributaire de la manière dont elle est perçue par la base, à savoir les administratifs, les enseignants, les parents et les élèves. Afin d'apprécier les changements escomptés à travers la réforme, rien ne vaut une observation attentive du vécu scolaire de nos élèves. En classe d'abord : c'est à ce niveau que se matérialisent les mesures prises en vue de l'amélioration de la qualité de l'enseignement et se concrétisent leurs premiers effets. Ceci nous amène à saisir toute l'importance du rôle joué par ces acteurs incontournables. La classe (et l'établissement scolaire) reste l'espace-clé où se lit et se joue l'essentiel du processus de mise en œuvre de la réforme. Dans cet ordre d'idées, il y a lieu de rappeler une vérité élémentaire. Il s'agit de la conclusion unanime à laquelle ont abouti toutes les évaluations menées sur les réformes scolaires depuis des décennies par les chercheurs indépendants et les organismes internationaux : « Une réforme de l'école est vouée à l'échec si elle n'est pas adoptée et assimilée par l'acteur principal de la réforme : l'enseignant. » D'où l'inévitable question : comment la préoccupation du ministre et de toute la grande famille de l'éducation est-elle partagée par les acteurs du terrain ? Un témoignage de parents répercuté par la presse nationale vient à point nommé nous éclairer sur un certain état d'esprit qui prévaut encore dans les salles de classe de nos établissements scolaires. « Celui qui obtiendra une note inférieure à la moyenne sera puni » : ce sont les propos d'un enseignant obnubilé par « cette chose magique » qu'il conçoit comme performance à exiger de ses élèves. Elèves terrorisés L'indélicat ne s'est pas contenté de cette menace verbale. Il a joint à ces paroles lugubres, l'acte condamnable. Dès les premières évaluations - elles défilent à un rythme soutenu depuis septembre 2005 - les gifles et les coups de règle sur les doigts ont fusé. Ce calvaire au quotidien enduré par leurs enfants a poussé les parents à réagir. Leur colère n'a eu d'égale que leur impuissance à valider leurs doléances auprès des destinataires concernés par ce genre de problème. Comparées à cette formule archaïque des temps modernes « version algérienne », le bonnet d'âne, les milliers de lignes à recopier - ces punitions pratiquées par les enseignants du Moyen-Age de la pédagogie - semblent plus soft. Ce type de comportement est à l'origine d'une pression intolérable exercée sur nos petits bambins. Comment l'expliquer pour mieux le condamner et non le justifier ? A travers les agissements de cet enseignant, nous assistons à un décalage entre le discours de la réforme, tel que communiqué par le sommet et l'exécution qui en découle au niveau de la base. Cet enseignant a-t-il été sensibilisé - voire formé - aux exigences méthodologiques des dossiers de la réforme ? Pas sûr. Il a pris le chemin le plus court pour appliquer le principe de la performance édicté par ses supérieurs. A ses yeux, la menace qui terrorise demeure la parade idéale pour stimuler et faire « suer le burnous » de ses élèves. Trouvaille démoniaque que l'on croyait disparue grâce aux progrès de la psychopédagogie. Son seul mérite (sic !) est d'avoir dérogé aux mœurs en vigueur jusque-là : les notes de complaisance pour étoffer les palmarès des établissements en vue de l'admission au cycle supérieur. Qui s'en plaindrait à part les élèves punis et leurs parents ? Dans la chaîne ascendante de la hiérarchie, ses supérieurs n'ont pour unique réflexe d'évaluation des performances que les notes chiffrées des compositions et des examens. Qu'importe pour eux la manière dont ces notes ont été obtenues : par le copiage, le gonflage ou la pression. Ces supérieurs ne peuvent être au four et au moulin, accaparés par les multiples tâches liées à leurs responsabilités. Ils ne sont mis pas au parfum des réalités de la classe à moins... de placer un réseau gigantesque de caméras de surveillance entre les salles de classes et les bureaux des responsables à tous les niveaux. En conclusion, ces dérives sont induites par une mauvaise compréhension de ces deux concepts voisins que sont l'obligation de résultats et la performance. Qui incriminer ? L'incompétence des exécutants ? La défaillance dans la sensibilisation ou l'information ? La réponse se situerait entre les deux mais pas seulement ... Et si ces deux concepts - l'obligation de résultats et la performance - n'étaient pas appropriés au monde des enfants et des adolescents ? Leur apparition est récente dans le paysage scolaire mondial. Ils ont été empruntés au monde économique, celui des adultes. Ils n'appartiennent pas au bréviaire de la pédagogie et de la psychologie scolaires. Dans ce secteur sensible et fragile, on ne peut parler que de qualité dans l'acte d'enseigner, d'éduquer et de gérer. Le reste est source de malentendus et d'incompréhensions préjudiciables à l'épanouissement moral, mental et intellectuel des élèves. Ces innovations qui viennent du monde moderne - des pays développés - ne doivent pas être calquées telles quelles dans un pays dont le système éducatif se remet péniblement d'un long coma de plusieurs décennies.