L'Institut français d'Oran a abrité, jeudi dernier à 18h, une pièce théâtrale des plus captivantes. Il s'agit de la nouvelle production de la compagnie El Ajwad. Ce nouveau cru, intitulé End/igné (création) a été mis en scène par Kheireddine Lardjam, sur un texte original de Mustapha Benfodil. Un véritable moment de bonheur que le public a vécu, savourant avec délectation cette pièce qui s'apparente, au final, à ce qu'on peut appeler un monologue. Le pitch en est simple : Moussa est un laveur de morts dans une bourgade perdue, Bal Bala, où il fait «bon mourir». Sa vie est d'un ennui incommensurable dans cette ville cannibale, où rien ne se passe. Du matin au soir, il fait la causette aux morts. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est surnommé Malik El maout (l'Ange de la mort). Son seul ami «vivant» s'appelle Aziz. Journaleux-bloggeur, un «cyberzorro» en somme, cet empêcheur de tourner en rond, bête noire des autorités locales, convainc son ami, laveur de morts, d'écrire ensemble un livre sur ces élucubrations morbides. Pour cela, Moussa a un dictaphone autour du cou, et il y enregistre tout ce qui lui passe par la tête. A force de parler à cet appareil, cela devient chez lui presque «une obsession névrotique pour soliloque pathétique». Mais cette vie d'ennui sera secouée un jour par l'arrivée d'un cadavre, mort de façon quelque peu «originale» : par immolation sur la place publique. Un geste extrême dont l'auteur s'avérera être un proche de Moussa. Cette pièce, qui fera assurément parler d'elle, est originale en bien des points. Elle démontre à la perfection le mal-être et l'ennui abyssal des Algériens vivant dans des cités, plus nécropoles que métropoles, où le cadre de vie est carrément inexistant. D'ailleurs, le tour de force réside dans le fait qu'il fallait à la fois dépeindre la vie «ennuyante» de Moussa, sans pour autant ennuyer le spectateur. Pour cela, Kheireddine Lardjam a pu compter sur le style d'écriture de Mustapha Benfodil, qui atteint là le sommet : en effet, le phrasé dense de la pièce a fait que le public a eu droit à une sorte de «dégustation» de mots. Il faut ajouter à cela l'humour noir omniprésent, et qui nous rappelle par moments les célèbres perles de Pierre Desproges : «On est là, on est vivant, et tout d'un coup, ça s'arrête, sans plus de raison que ça n'avait à commencer !» Par cet humour très noir et très subtil, Mustapha Benfodil prend plaisir à lancer des piques aux responsables de cet état de fait, de cette Algérie ennuyeuse, où le mot s'amuser a presque été banni du vocabulaire. L'humour provocateur a aussi été de mise : provocateur parfois par le langage châtié, mais aussi par les attaques aux Tartuffe à deux sous, ceux qui prônent la morale, et qui, comme dirait Guy Bedos : «se disent justiciers, alors qu'eux mêmes sont justiciables». N'en déplaise à l'extrémisme religieux, l'auteur de cette pièce se plaît à donner des coups de poing là où ça fait mal : Moussa a mauvaise réputation, car il est soupçonné de ne pas effectuer sa prière quotidienne, voire même d'être athée. Une brèche pour Mustapha Benfodil, qui pourra glisser quelques piques aux fous de Dieu. Le public rigolera aussi à voir le personnage de Moussa, dans un moment de vague à l'âme profond, sortir une bonbonne de whisky et boire jusqu'à l'ivresse. Une volonté, pour ainsi dire, de «casser» avec cette pudibonderie, celle de l'Algérie «officielle», pocharde en sourdine, mais prônant la prohibition en public. Bref, un avenir des plus radieux est promis à cette pièce, qui est, faut-il le dire, encore en gestation, Il faut aussi saluer la performance du comédien Azzedine Benamara, qui a sublimé la salle par son jeu d'acteur. Une pièce à voir et à revoir. Sans modération.