La Kabylie est sans doute le territoire qui compte le plus grand nombre de stèles au mètre carré. Les exemples ne manquent pas. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir le nombre de stèles érigées en hommage aux martyrs du Printemps noir qui fleurissent un peu partout. A Mizrana, petite commune surplombant la ville de Tigzirt, une stèle a été élevée en l'honneur d'un jeune assassiné durant les événements de Kabylie. «Ici repose Djamel Tounsi dit ‘Djino', sauvagement assassiné par les gendarmes le 1er avril 2002 au centre-ville de Tigzirt», indique-t-elle. La stèle est ornée d'un portrait du défunt ainsi que d'un émouvant petit poème signé Djamel : «Belle Algérie que j'aime/Arrosée de mon sang/ Je lui ai offert mon âme/ Aux portes du printemps.» Ce qu'il y a de remarquable est que la stèle en question a été dressée à l'entrée même de l'APC, une manière de revendiquer le geste commémoratif comme hautement collectif. En face de la mairie, cette autre stèle en hommage à une victime du terrorisme, avec cette inscription : «Ici est tombé le 11 mars 1995 le chahid Tounsi Mohamed à l'âge de 26 ans. Mort pour la patrie !» Ce genre de pratique n'est pas propre à Mizrana. On la retrouve dans la plupart des villages kabyles. Et chaque couche d'histoire, depuis Fadhma n'Soumer jusqu'au dernier citoyen assassiné, en passant par Abane, Amirouche, ou encore les martyrs du FFS de 1963 (honorés d'une stèle à Ath Yenni), ont leur effigie sculptée dans le marbre. Même les grands artistes de la région ne sont pas en reste, comme l'atteste cette œuvre ciselée à la gloire du grand dramaturge Mohya, à l'entrée de son village, Ath Arvah, sur les hauteurs de la Grande Kabylie. Sans oublier, bien évidemment, l'immense Matoub. La maison du «rebelle», à Taourirt Moussa, dans la daïra de Beni Douala, a été carrément transformée en musée. La fondation Matoub, qui gère ce patrimoine, a même conservé, intacte, la Mercedes 310 que le chanteur flamboyant conduisait au moment où il est tombé dans un guet-apens meurtrier, à Tala Bounane, le 25 juin 1998 ; les visiteurs peuvent se recueillir, à loisir, sur cette triste relique de l'odieux attentat. La voiture est criblée comme un tamis, avec pas moins de 78 impacts de balle. «Prière de ne pas toucher au véhicule car c'est une pièce à conviction», peut-on lire sur une pancarte. Plus près de nous, cette stèle érigée récemment au village El Bir, dans la daïra de Maâtkas, à la mémoire de trois citoyens assassinés suite à une attaque terroriste survenue le 19 août 2011. Les trois victimes, Rabah Slifi, Karim et Brahim Issaoun, ont ainsi eu droit à un monument à la hauteur de leur martyre. La stèle a été réalisée en un temps record (29 jours selon Le Soir d'Algérie du 30 octobre 2011), grâce à l'implication de la société civile et des élus locaux. Les maçons du village ont travaillé bénévolement. Toute la région s'est mobilisée dans un bel élan de solidarité pour célébrer la mémoire de ses trois enfants. Respect ! Il convient enfin de citer ce projet de stèle en cours de réalisation à Béjaïa, à l'initiative de l'Association des journalistes de Béjaïa (AJB) à la mémoire de l'éternel Saïd Mekbel alias «Mesmar Djeha», assassiné le 3 décembre 1994 dans un restaurant à Hussein Dey.