La série de concerts de Cheikha Rimitti est impressionnante. De quoi mettre sur les rotules les jeunes stars. Avec 82 printemps au compteur, la diva du raï ne semble nullement fatiguée. Sur scène, elle continue d'assurer le spectacle avec beaucoup de verve. Du Cabaret sauvage aux salles les plus renommées de France et de Navarre, elle traîne avec enthousiasme son raï original, à la fois authentique grâce à la gasba et sa voix nasillarde aux sons modernes de l'électro-pop. Il faut dire que la mammy du raï a une revanche à prendre. Ses colères légendaires ne sont pas dépourvues de raison. Sidi Fredj résonne encore de ses éclats. Invitée d'honneur, elle a été méprisée par les autorités algériennes. Trop verte pour leurs oreilles chastes, pas assez politiquement correcte. Trop subversive. Celle qui a quitté l'Algérie après l'indépendance à cause de la censure a retrouvé un pays toujours aussi pudique. 20 ans après son exil, les gardiens de la morale et de la vertu l'ont cataloguée comme inadaptée à la culture arabo-musulmane officielle. « Ils ne m'ont pas respectée », s'est contentée de dire l'ancienne orpheline, qui est portée aux nues sous d'autres cieux. « La misère est une école où l'on n'a pas envie de redoubler. J'ai été obligée de chanter pour gagner ma vie, il a vraiment fallu beaucoup de courage pour le faire », raconte-t-elle avec beaucoup de discrétion. Trop sulfureuse pour Alger Celle qui a fait danser Salman Rushdie et de nombreux écrivains lors d'un congrès international n'attend plus rien des autorités algériennes. Cheikha Rimitti subjugue Londres, donne un air frais à la musique underground française et fait danser Berlin. Seulement voilà, elle est trop sulfureuse pour Alger. Son agenda est impressionnant. Tous les festivals se l'arrachent, avec comme point d'orgue le Printemps de Bourges le 1er mai prochain. Cheikha Rimitti a beaucoup de comptes à régler. Pas seulement avec les autorités, mais aussi avec les stars du raï, Khaled et Mami compris. Paradoxalement, la surmédiatisation des vedettes du raï a sorti Cheikha Rimitti de l'ombre. Elle, qui ne chantait que dans des cafés communautaires, a vu sa carrière décoller de nouveau à la fin des années 1980. Cette concurrence lui a donné des ailes. « J'ai voulu prouver que je pouvais faire aussi bien sinon mieux que tous ceux qui m'ont volée et écrasée. » Pari réussi. Les radios branchées passent souvent ses chansons, honneur que connaissent peu d'artistes nord africains. De Charak gataâ (Déchire, lacère) où elle traite de la jouissance et de l'acte sexuel hors mariage, en 1954, à Nouar, l'ancienne petite fille de Tessala, région de Bel Abbès, ne cesse de repousser les frontières morales et sociales. Elle se moque des convenances, de la pureté fatalement dangereuse et des hérauts de la morale. Elle prend des risques musicaux là où les autres se contentent d'ânonner ou d'imiter. Cheikha Rimitti n'est pas conservatrice. Elle est même à l'avant-garde de la musique algérienne.