Samedi dernier au Zénith, la dame a étalé son art. Jamais figé. La gasba s'est mise avec bonheur au service de l'électro-pop. A 83 printemps, la mammy du raï est à l'avant-garde de la musique venue de l'Oranie. Les années 1990 ont vu une diva, aux robes chatoyantes, chiner dans la musique moderne, élargissant son champ encore et encore. Les magazines branchés ne sont pas trompés en faisant d'elle une icône du pop art. Toute ressemblance avec Cesaria Evora est fortuite. A part l'âge, rien ne les unit. Rimitti ne chante pas la nostalgie. Et son son ne cherche nullement à plaire à l'oreille occidentale. Elle ne chante pas Aïcha, mais l'amour charnel, instinctif. Du Cabaret sauvage aux salles les plus renommées de France et de Navarre, elle traînait avec enthousiasme son raï original, à la fois authentique grâce à la gasba et sa voix nasillarde aux sons modernes de l'électro-pop. Il faut dire que la mammy du raï a une revanche à prendre. Ses colères légendaires ne sont pas dépourvues de raison. Sidi Fredj résonne encore de ses éclats. Invitée d'honneur, elle a été méprisée par les autorités algériennes. Trop verte pour leurs oreilles chastes, pas assez politiquement correcte. Trop subversive. Celle qui a quitté l'Algérie après l'indépendance à cause de la censure a retrouvé un pays toujours aussi pudique. Vingt ans après son exil, les gardiens de la morale et de la vertu l'ont cataloguée comme inadaptée à la culture arabo-musulmane officielle. « Ils ne m'ont pas respectée », s'est contentée de dire l'ancienne orpheline, qui est portée aux nues sous d'autres cieux. « La misère est une école où l'on n'a pas envie de redoubler. J'ai été obligée de chanter pour gagner ma vie, il a vraiment fallu beaucoup de courage pour le faire », raconte-t-elle avec beaucoup de discrétion. Celle qui a fait danser Salman Rushdie et de nombreux écrivains lors d'un congrès international s'est toujours méfiée des autorités algériennes. Quand la télévision algérienne passe en boucle les variétés égyptiennes, les médias étrangers traquent la moindre apparition de l'enfant de l'Oranie. Cheikha Rimitti subjugue Londres, donne un air frais à la musique underground française et fait danser Berlin. Seulement voilà, elle est trop sulfureuse pour Alger. Tous les festivals se l'arrachaient. Cheikha Rimitti avaient beaucoup de comptes à régler. Pas seulement avec les autorités, mais aussi avec les stars du raï, Khaled et Mami compris. Paradoxalement, la surmédiatisation des vedettes du raï a sorti cheikha Rimitti de l'ombre. Elle, qui ne chantait que dans des cafés communautaires, a vu sa carrière décoller de nouveau à la fin des années 1980. Cette concurrence lui a donné des ailes. « J'ai voulu prouver que je pouvais faire aussi bien sinon mieux que tous ceux qui m'ont volée et écrasée. » Pari réussi. Les radios branchées passent souvent ses chansons, honneur que connaissent peu d'artistes nord-africains. De Charak gataâ (Déchire, lacère) où elle traite de la jouissance et de l'acte sexuel hors mariage, en 1954, à Nouar, l'ancienne petite fille de Tessala, région de Bel Abbès, ne cessait de repousser les frontières morales et sociales. Elle se moquait des convenances, de la pureté fatalement dangereuse et des hérauts de la morale. Elle prenait des risques musicaux là où les autres se contentaient d'ânonner ou d'imiter. Cheikha Rimitti n'était pas conservatrice. Elle était même à l'avant-garde de la musique algérienne. C'est pour cela qu'elle survit à tous les autres, même si elle est morte.