L'attaque menée par un commando de mercenaires islamistes contre le complexe gazier d'In Amenas, à Illizi, n'a pas livré tous ses secrets. Que s'est-il passé ? Y a-t-il eu des défaillances dans les systèmes de sécurisation des frontières et des sites sensibles ? Des questions auxquelles les réponses sont très difficiles à trouver. Sous le couvert de l'anonymat, des militaires de haut rang, en activité et à la retraite, ont accepté d'apporter leur éclairage. Tous sont unanimes à dire que l'opération a été préparée durant des semaines, voire des mois : «Recruter une trentaine de mercenaires, les doter d'armement lourd et les guider jusqu'en Algérie n'est pas une affaire de quelques jours.» A-t-elle un lien avec la guerre au Mali ? La réponse de nos interlocuteurs est catégorique : «Si l'on tient compte des premiers éléments de l'enquête, l'attaque aurait été décidée il y a deux mois. Ce qui nous renvoie à la décision prise par le Conseil de sécurité de l'ONU d'autoriser une intervention militaire étrangère. Rappelez-vous, cette mesure avait été encouragée et défendue par la France, dont les dirigeants avaient annoncé leur intention de passer à l'action. C'est à ce moment-là que Belmokhtar a décidé de frapper. Il a fait plusieurs déplacements en Libye pour recruter des mercenaires et les doter d'armement. Les frappes aériennes françaises ont accéléré l'attaque. Craignant les bombardements contre les bastions d'Al Qaîda, notamment Gao et Tombouctou, Belmokhtar a tenté de faire d'une pierre deux coups. D'un côté, il faisait pression pour arrêter l'intervention militaire française ; de l'autre il assénait un coup dur à l'Algérie, qui reste le plus important rempart contre les terroristes.» Selon nos interlocuteurs, «cette menace a été appréhendée par les plus hautes autorités du pays. Des réunions avec les responsables des forces de sécurité des pays voisins (Libye, Tunisie et Niger) ont eu lieu avant et pendant la guerre au Mali. Des mesures ont été prises, dont le renforcement des unités des garde-frontières et l'échange de renseignements. Il faut savoir que dans la région, c'est l'Algérie qui subit le plus. Toutes ses frontières sont en état d'alerte rouge et elle est la plus sollicitée par ses voisins minés par des crises eu égard à ses moyens, ses capacités humaines, matérielles et techniques. La décision de fermer les frontières est plus théorique que pratique. Lorsqu'on annonce une telle mesure, cela suppose que l'on a au moins doublé, voire triplé les effectifs de surveillance, avec tout ce que cela implique comme logistique, sachant que nous sommes dans une région du désert». «Il serait utopique de croire qu'une frontière peut être fermée hermétiquement, même avec une armée d'hommes alignés tout le long de la bande. Le seul moyen reconnu efficace est la surveillance satellitaire que seuls les Français, les Américains et les Russes maîtrisent. Néanmoins, sans drones tueurs, cette surveillance devient aléatoire. Sans ces drones, les unités qui auront reçu les images de ces terroristes en direction d'un site, devront attendre l'arrivée d'un hélicoptère de combat. Pendant ce temps, les terroristes auraient eu tout le temps de disparaître dans le désert. Ces drones sont reliés aux réseaux d'informations données par les satellites. Ils permettent de neutraliser, en temps réel, une cible. Vu la situation particulièrement difficile que nous vivons au niveau de nos frontières et le risque extrêmement élevé de pénétration des groupes terroristes, cet outil devient une nécessité», explique une source proche des gardes-frontières. Pour elle, le commando qui a mené l'attaque d'In Amenas est entré en Algérie par la Libye, «en petits groupes», à bord de pick-up, durant la nuit. «Ils ont eu suffisamment de temps pour bien étudier leur coup. Ils ont évité de s'approcher de la frontière algérienne, qu'ils ont longée jusqu'au point le plus proche d'In Amenas, où ils ont fait leur dernière halte à quelques kilomètres d'Edjle, sur le territoire libyen, à moins d'une centaine de kilomètres d'In Amenas, avant de pénétrer sur le territoire par les ergs (dunes) en se dispersant. Il était peut-être 1h du matin de la journée du mercredi.» Nos sources sont formelles : «Il n'y a pas eu de défaillance dans les systèmes de sécurité déployés aux alentours du complexe et de la base-vie. Il y a eu des complicités internes puisque les terroristes avaient un plan de la base et du complexe. De toute façon, l'expérience a montré que les terroristes ne s'aventurent jamais dans un site sur lequel ils n'ont pas d'informations. Ils ont toujours réussi à trouver des personnes pour les aider de l'intérieur. Dans le cas d'In Amenas, il n'y a pas uniquement le chauffeur nigérien qui aurait donné des informations. Une enquête a été enclenchée pour lever le voile sur toutes les complicités dont auraient bénéficié les terroristes. Il est probable que d'autres complices seront démasqués.» «Les terroristes ne savaient pas que l'escorte doublait durant la nuit» En fait, précisent nos interlocuteurs, «nous ne savons pas encore si les terroristes savaient que le bus transportant les expatriés allait quitter la base. Néanmoins, il est certain qu'ils ne s'attendaient pas à la riposte des gendarmes. Peut-être qu'ils ne savaient pas que la nuit, l'escorte était doublée, passant de deux véhicules à quatre. Deux à l'avant et deux à l'arrière. Il est certain qu'un groupe avait mené l'attaque contre le car alors que deux autres étaient déjà en route vers l'usine et la base-vie. Est-ce que le plan était de ramener les expatriés qui devaient aller à l'aéroport vers la base où devaient être regroupés l'ensemble des otages étrangers ? La réponse n'est pas encore disponible. Cependant, il est certain que l'échec de cette attaque a précipité les évènements». Pour eux, «l'accrochage entre les gendarmes et les assaillants, durant une bonne demi-heure, a permis de donner l'alerte. Entre celle-ci et la mise en place du dispositif de sécurité, 45 minutes se sont écoulées durant lesquelles le groupe terroriste aurait pu prendre les premiers expatriés se trouvant à l'entrée de la base-vie. Or, cela pourrait ne pas être leur plan». En fait, l'armement de guerre qu'ils avaient en leur possession (mines antichar, missiles anti-aériens, bazookas, mitrailleurs de gros calibre, mortiers de 60 mm, canons de 57 mm, différents types d'explosifs, batteries de lance-missiles et lance-roquettes), était surdimensionné par rapport à une simple opération de prise d'otages. Pour les militaires, cet arsenal n'avait qu'un seul objectif : «Le siège d'une cible. Le commando voulait assiéger la base-vie et le complexe gazier où s'était retranché le groupe d'artificiers. Leur plan était de faire durer au maximum la prise d'otages dans l'objectif de faire pression sur leurs pays d'origine, afin qu'ils stoppent l'intervention militaire au Nord-Mali et, après, se faire tuer avec les otages en faisant exploser l'usine et la base-vie. Ils ont commencé par exiger des otages d'appeler non seulement leurs familles, mais aussi les médias afin de s'assurer de la plus large médiatisation de l'opération. Les réactions des pays concernés ne se sont pas fait attendre et les pressions sur l'Algérie devenaient de plus en plus lourdes. Pendant ce temps, les forces de sécurité n'arrivaient toujours pas à évaluer exactement les capacités du commando ni ses points de déploiement au niveau de la base et du complexe. Quelques brèches ont été provoquées pour permettre aux unités spéciales d'accéder à la base-vie où de nombreux otages étaient détenus. Des tirs à blanc permettaient de déterminer le nombre des terroristes et leur emplacement. Pour les autorités, il y a unanimité à ne pas laisser le groupe réussir son coup. La seule riposte est d'intervenir. Cette option a créé la surprise tout autant que la réaction des gendarmes à l'attaque du bus. Le commando était coupé de l'extérieur. Il ne pouvait plus contacter ses chefs. Quelque part, il était désorienté. Il commençait à improviser et a décidé de prendre cinq véhicules tout-terrain. De nombreux otages ont été forcés de monter à bord. Des provisions et du carburant ont été chargés. Profitant de la nuit, ils ont tenté de quitter la base. La réaction des forces spéciales a été fulgurante. Trois des véhicules ont été détruits, alors que deux autres se sons renversés et leurs occupants ont rejoint le complexe gazier. Voulaient-ils aller vers ce complexe ou quitter le pays avec les otages ? La question reste posée.» Dans cette usine, notent nos sources, la mission des forces de sécurité est devenue très difficile et complexe. «Seuls des snipers pouvaient agir dans ces circonstances, d'autant que des otages avaient été exécutés ou utilisés comme des bombes humaines. C'est le sang-froid des nos troupes et leur professionnalisme qui ont permis de déjouer le plan machiavélique des mercenaires», concluent nos interlocuteurs, qui sont unanimes à réfuter toute défaillance : «Bien au contraire s'il y avait eu une quelconque défaillance, les terroristes auraient réussi leur coup ou, du moins, causé la destruction du complexe gazier. Ils sont morts après avoir été vaincus.» Pour nos sources, il est certain qu'il y aura un après-16 janvier. «Cette attaque a permis de tirer les leçons», note un ancien officier supérieur de l'ANP. Selon lui, c'est toute la stratégie de sécurisation des sites sensibles qui sera revue et corrigée. D'abord par la redéfinition des missions des sociétés de gardiennage. «Il faudra que celles-ci soient dotées de moyens à la hauteur de la menace, qu'elles puissent bénéficier d'une formation adéquate pour pouvoir faire appel à des tireurs d'élite, par exemple. Il est aussi important de mettre sous la loupe toutes ces sociétés étrangères de conseil en sécurité auxquelles les compagnies pétrolières font appel et qui ont plus d'autorité que les structures chargées de la sécurité. Nous avons à faire à une nouvelle vague de terroristes qui détiennent un armement de plus en plus sophistiqué et qui sont là à nous scruter pour profiter de la moindre brèche. Le dispositif sécuritaire nécessite d'être revu. Il n'est pas question pour l'armée de déployer devant chaque installation un contingent. Les structures algériennes de sécurité, qui ont pour mission de protéger ces sites, doivent être juste dotées de moyens adéquats et de ressources humaines formées. Pour ce qui est de nos frontières, la solution est dans l'accès aux équipements techniques modernes, reliés à la surveillance satellitaire. Un appel d'offres restreint avait été lancé, il y a quelque temps, mais les conditions imposées par l'unique fournisseur ont fait échouer l'opération d'acquisition. Il faudra peut-être renégocier», souligne une source proche des militaires. L'éclairage méritait d'être exposé, même si toute la vérité sur cette attaque, qualifiée de «11 Septembre d'In Amenas», n'est pas encore révélée. Peut-être faudra-t-il attendre que les trois terroristes étrangers, dont un Tunisien, arrêtés par les unités spéciales de l'ANP lors de l'intervention, en disent plus sur la face cachée de cette opération.