Réagissant à son isolement sur la scène politique et, surtout, après son échec à trouver des solutions pour le remaniement ministériel, le parti Ennahda a, semble-t-il, opté pour la violence pour s'imposer sur le terrain et neutraliser ses détracteurs. Tunis De notre correspondant Cinq actes de violence politique ont été commis en son nom en 48 heures. Les 1er et 2 février, le bras armé d'Ennahda, les Ligues de protection de la révolution (LPR), a empêché la tenue de deux meetings, à Kairouan et au Kef, séquestré Ahmed Néjib Chebbi à Gabès, essayé de s'attaquer au siège central de Nida Tounes à Tunis et saccagé le local de ce parti à Kébili. S'agit-il d'actes spontanés ou d'un choix délibéré ? De l'avis des observateurs, c'est la ligne dure d'Ennahda qui a pris le dessus dans le dernier majless echoura du mouvement, la plus haute instance du parti entre deux congrès, tenu vendredi 1er février, le 4e en moins d'un mois. Et ce n'est d'ailleurs pas par hasard que son communiqué final a appelé à la libération des assassins de Lotfi Nagdh, le représentant de Nida Tounes à Tataouine, victime le 18 octobre 2012 d'un lynchage de la part des Ligues de protection de la révolution. Ledit communiqué qualifie d'injustice le maintien des inculpés en détention. Le niet d'Ennahda Ali Fares, l'un des représentants des islamistes au sein de l'Assemblée nationale constituante (ANC), n'a d'ailleurs pas hésité à justifier en quelque sorte le recours à la violence. Ce dernier a, en effet, présenté les assassins de Lotfi Nagdh comme des champions de la révolution, qui méritent d'être primés comme les martyrs et les blessés ayant contribué à la chute de Ben Ali. «Ceux qui sont descendus à Tataouine cherchent à épurer le pays des vestiges du régime déchu. Ils n'ont fait qu'œuvrer pour la réalisation d'un des objectifs de la révolution, qu'est la purge contre les ex-RCDistes», a-t-il expliqué. Pourtant, Lotfi Nagdh n'a jamais été un RCDiste notoire, selon ceux qui l'ont connu. Il n'y a donc pas une manière plus claire pour encourager la violence politique. De là à dire que les LPR n'ont fait que saisir au vol les signaux de la direction politique des islamistes, il n'y a qu'un pas que les analystes ont tous franchi. Pas que ça. Le contenu du communiqué du conseil de la choura a envoyé d'autres signaux. Et certains d'entre eux laissent penser qu'Ennahda continuera à refuser tout compromis concernant l'attribution des ministères de souveraineté à des personnalités indépendantes, comme l'exigent les autres sensibilités politiques. Pour beaucoup, ce compromis pourrait aider à instaurer un climat favorable à des élections libres et indépendantes. Ennahda, dans ledit communiqué, a ainsi rappelé aux autres composantes de la troïka (Ettakattol et le CPR) «son attachement aux arrangements, qui sont à la base de l'actuelle expérience» et appelé à «les respecter et les renforcer pour préserver la stabilité dans les étapes à venir». Il s'agit là d'une fin de non-recevoir concernant les exigences sur les ministères régaliens. Les arrangements initiaux prévoient effectivement que les ministères de souveraineté reviennent tous à Ennahda. Autre objet de discorde : le bloc nahdhaoui à l'Assemblée essaie de faire un forcing pour accélérer l'adoption du projet de loi d'immunisation de la révolution et de ne pas l'intégrer au projet de loi sur la justice transitionnelle. Ledit projet de loi exclut des responsabilités politiques et l'éligibilité de tous ceux qui ont travaillé avec Ben Ali depuis mars 1989 jusqu'au 14 janvier 2011. Le Premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi, est spécialement visé par cette loi qui n'a de pareille qu'en Irak contre les baâthistes, en Israël contre les Palestiniens et en Afrique du Sud contre les Noirs, du temps de l'apartheid. L'opposition crie au scandale par rapport à ce projet de loi car il s'agit de «punition collective pour des fautes individuelles», comme le souligne le porte-parole du parti Al Massar et membre de l'Assemblée, Samir Taïeb. «Mais Ennahda n'a pas d'autre choix», lui réplique le politicien Hamadi Redissi. «Les dernières tractations sur le remaniement ministériel ont montré l'isolement d'Ennahda sur l'échiquier politique, d'où les surenchères exercées par Ettakattol et le CPR, bien que ces partis soient plus faibles qu'à la sortie des élections», explique-t-il. «Ennahda a paniqué et ses troupes radicales ont choisi l'option de la violence dans la rue pour essayer de s'imposer», a-t-il conclu. Deux actions vont donc de pair dans la tactique du moment d'Ennahda pour «chasser la contre-révolution» : les LPR dans la rue et la loi d'immunisation de la révolution à l'ANC.