Nadir Dendoune, journaliste aux trois nationalités, a été arrêté en Irak alors qu'il revenait sur les lieux où il avait protesté contre la guerre américaine en 2003. Il est emprisonné depuis deux semaines. Portrait d'un militant humaniste. En 1993, Nadir Dendoune a 20 ans. Il fait le tour de l'Australie à vélo. Trois mille kilomètres. Huit ans plus tard, il remonte sur un vélo pour faire le tour du monde. L'année de ses 35 ans, il gravit l'Everest, sans expérience de l'alpinisme. Derrière ces exploits sportifs, une motivation : se donner une chance, ne rien s'interdire, repousser les limites. Mais au cœur de ces performances, il y a un acte militant. Ce tour du monde à vélo, Nadir Dendoune le fait, soutenu par la Croix-Rouge, pour les victimes du Sida. L'Everest ? Pour prouver qu'un fils d'immigré qui vit en banlieue peut arriver sur le toit du monde. Les parents de Nadir vivent à l'Île-Saint-Denis, près de Paris. Une cité de barres d'immeuble où Nadir grandit avec ses huit frères et sœurs. De sa jeunesse, il retient l'humiliation que subissent ses parents qui parlent mal le français et cette image de «rebeu des cités» que lui renvoie la société. Une image paralysante. Car aux yeux de la société, un fils d'immigrés de banlieue a un avenir limité. Bouclier humain Mais lorsque Nadir part en Australie, où il vivra pendant huit ans avant d'obtenir la nationalité australienne, il se découvre français : «J'ai lu Sartre qui dit : ''On est juif dans le regard des autres'', c'est vrai aussi quand on est Arabe. En Australie, j'ai cessé de l'être, parce que plus personne ne me voyait comme ça», raconte-t-il au journal Libération. Mais Nadir Dendoune a la révolte dans le sang. Rien de violent. Sauf qu'il ne supporte pas l'injustice. En 2002, il rentre en France pour voter contre Jean-Marie Le Pen, le président du Front national, au deuxième tour de l'élection présidentielle. Il continue de parcourir le monde. «Voyager, c'est dans son ADN», explique Olivia Marsaud, une amie. Les causes se multiplient. «Il y a chez lui quelque chose de chevaleresque qui le pousse à montrer la réalité des zones de conflit», explique Nadia Lamarkbi, une amie journaliste. En 2003, direction Baghdad, où il sera bouclier humain. La guerre américaine va faire des victimes. Ce sont les civils qui vont payer et on ne peut pas l'accepter, explique-t-il. L'Irak fera de lui un journaliste. A son retour, il publie le carnet de bord de son expérience, Journal de guerre d'un pacifiste. Il gagne une bourse qui lui permet d'intégrer une prestigieuse école de journalisme. Nadir est un militant à plein temps. Ca ne fait pas partie des qualités recherchées par les rédacteurs en chef. «Cela lui a coûté très cher. De nombreuses rédactions ont arrêté de travailler avec lui», raconte Nadia Lamarkbi. Journaliste freelance, il travaille pour Le Parisien, L'Humanité et les rédactions locales de France 3. Il parcourt la Franche-Comté et la Bourgogne. Pour ses collègues, Nadir a un «tempérament affirmé». «C'est une grande gueule. Soit les gens le détestent, soit ils l'adorent», raconte Olivia Marsaud, qui l'a rencontré en Algérie. En 2008, après son ascension de l'Everest, il vient à Alger pour présenter son livre, Un tocard sur le toit du monde, au SILA. Grande gueule L'Algérie lui tient à cœur, mais il ne connaît pas la capitale. «Pour s'approprier la ville, il allait faire son jogging dans les rues», raconte Olivia. Il a le contact facile, part à la rencontre des autres. En France, le climat politique se détériore. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, multiplie les amalgames sur les étrangers, les immigrés, les habitants de banlieues. Nadir écrit un livre, s'adresse au ministre, provocateur : «J'ai compris que ton Karcher, c'était ta grande gueule. A moi d'ouvrir la mienne.» Le récit y est poignant. Le journaliste raconte, cette mise à l'écart, qu'un enfant ne peut pas comprendre, car on le traite d'«Arabe», alors qu'il est Français. Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Le climat ne s'améliore pas. Nadir, Nadia Lamarkbi et une autre amie créent la Journée sans immigré. A chaque année son projet. Nadir veut militer pour la Palestine. Avec un ami, il crée une association qui permet à des bénévoles de passer du temps sur le terrain, de rencontrer Palestiniens et Israéliens, pour qu'ils touchent du doigt la réalité du conflit. De cette expérience naît un film, Palestine. A bientôt 40 ans, Nadir Dendoune a toujours beaucoup de projets. Retourner en Irak en fait partie. Dix ans après avoir été bouclier humain, il veut savoir comment vivent les Irakiens aujourd'hui. «Il leur avait promis qu'il reviendrait», raconte Madjid Messaoudène, un ami, qui s'occupe de son comité de soutien. L'Irak d'aujourd'hui n'est plus le même, et y être journaliste est compliqué. Le visa met du temps à arriver. «Quand il l'a eu, on aurait dit un gamin devant un sapin de Noël», raconte Arnaud Baur, un ami journaliste. L'aventure n'aura duré que trois jours. Depuis, il est emprisonné à Baghdad. Ses projets, eux, ne s'arrêtent pas. La projection de son film Palestine a réuni plusieurs centaines de personnes à Paris la semaine dernière. «Nous avons dû refuser du monde», sourit Madjid Messaoudène.