La politique de requalification urbaine s'inscrit dans un mouvement urbanistique de régénération à l'échelle nationale. C'est, en effet, à partir des années 1980 que les villes algériennes se sont lancées dans l'élaboration de politiques publiques dites de modernisation urbaine s'appuyant sur de grands projets urbains et architecturaux visant à consolider leurs bases économique et sociale. La ville de Skikda illustre par son extension le développement urbain considérable qu'à connu l'Algérie depuis l'indépendance. En effet, pris par l'urgence, les pouvoirs publics n'ont eu de cesse de promouvoir des réponses rapides, partielles et ponctuelles à la forte demande sociale. La frénésie de l'industrialisation et les grands programmes de logements, d'équipements, d'infrastructures et, depuis peu, de «villes nouvelles», sont les illustrations de ces interventions étatiques. Ces politiques publiques de développement urbain, ont répondu à des besoins urgents, mais elles ont été, longtemps, contraintes de délaisser les questions, pourtant essentielles, de préservation de l'existant. Le regain de conscience des pouvoirs publics de l'essoufflement de la croissance des villes s'illustre par les initiatives de prise de décision et par la nécessité de réinvestir des centres urbains en difficulté, mais à fort potentiel de développement. Ainsi, la question majeure posée aux responsables de la gestion des villes contemporaines n'est plus véritablement d'encadrer la croissance urbaine ou la consommation d'espaces en périphérie, mais de repenser et recomposer la ville sur elle-même par la régénération des espaces dévalorisés. Le centre historique de Skikda occupe une position centrale à trois points de vue. Sur le plan géométrique, il constitue le pivot de la ville. Tout l'espace urbain s'organise autour du centre historique, comme en témoigne le mouvement de convergence des principales voies de communication. Sur le plan social, il s'impose comme le centre de gravité de la vie skikdie. Il concentre les sièges des trois pouvoirs (communal, wilayal et juridique), le siège de l'APC (Assemblée populaire communale, le centre de commandement policier, la plupart des services administratifs, une part importante des commerces de détail ainsi que les marchés traditionnels et couverts. Sur le plan de la mémoire collective, les habitants de Skikda éprouvent un vif attachement pour cette partie de la ville, surtout celle dite «houmett ettalyène», «le quartier napolitain». Par ailleurs, le centre historique de Skikda symbolise, ces dernières années, l'incurie et l'abandon de la ville aux spéculateurs et aux intérêts privés. Aussi, il est primordial de le concevoir comme le lieu, au moyen duquel la ville de Skikda peut se refonder : en renouant avec son histoire et son patrimoine dont elle a cherché à s'affranchir, engagée au lendemain de l'indépendance dans un processus d'urbanisation dévastateur sous l'effet de l'industrialisation, de la spéculation et de la pratique de l'habitat illégal, se refonder en effaçant l'angle mort qu'est devenu le centre historique du fait de son abandon de la part des administrations communales successives et d'une partie de sa population, se refonder, enfin, en manifestant la capacité de toute une ville à se mobiliser dans un projet. Une nouvelle donne politique : la requalification urbaine La requalification du centre historique, engagée à l'initiative des politiques urbaines et du regain de conscience des autorités locales et des habitants de la ville de Skikda, a commencé au milieu des années 1990. En cette période, les autorités de la ville ont adopté, sans trop de résultat, la classique mais éprouvée boîte à outils urbanistique, associant remise en état du bâti et mise en valeur du patrimoine architectural (réfection de peinture, remodelage des trottoirs…). Si la réhabilitation des immeubles et des espaces publics constituait le cœur de cette politique de requalification urbaine, celle-ci poursuivait également un objectif de requalification en voulant contribuer à la refondation d'une ville marquée par la clochardisation et par la présence de la plateforme pétrochimique. En effet, aux yeux des habitants de la ville et de quelques élites locales, la plateforme constitue un trou noir aspirant toute les potentialités de la région et engendre un creuset qui défigure l'image d'une ville saine et durable. Cependant, suite à la promulgation des textes législatifs relatifs à la patrimonialisation et à la parution de la loi : 98-04, loi sur le patrimoine, le regain de sensibilisation à la préservation et la protection du patrimoine bâti commençait à marquer les décisions et les volontés politiques. Parmi ces nouvelles exigences : la réhabilitation et la conservation deviennent essentielles. Les tissus existants historiques représentent un patrimoine important et un pan d'histoire et de mémoire des peuples, ce qui exige, de ce fait une prise en charge en rapport avec les enjeux consistant à restaurer les monuments et réhabiliter le vieux bâti. Cette loi a donné aux élus locaux une capacité d'action qui leur a permis de s'affranchir des conditionnements politiques et d'engager une politique locale urbaine volontariste. En outre, les enjeux de la requalification du centre historique de Skikda et les contraintes qu'il impose exigent la nécessité d'une intervention pluridisciplinaire de grande ampleur. Ainsi, le renouvellement de la forme politique doit également s'accompagner d'un renouvellement de la forme d'action. Toutefois, deux obstacles freinent la requalification du centre historique de Skikda. Les autorités locales se heurtent tout d'abord à une propriété immobilière particulièrement fragmentée. 55% du parc immobilier du centre historique sont entre les mains de propriétaires privés. Le reste est de propriété publique. A cela vient s'ajouter l'émiettement de la propriété privée, puisque plus des deux tiers des logements appartiennent à de petits et moyens propriétaires (indivision, copropriété). Or, les travaux de restauration ne doivent pas se limiter à une seule habitation, mais bien porter sur l'ensemble d'un immeuble, de même pour les opérations de réhabilitation qui ne sont profitables et rentables que si elles sont menées à l'échelle d'un îlot ou d'un quartier. Un immeuble restauré au milieu d'un bloc complètement dégradé perd une grande part de la valeur qu'il a ainsi acquise. Plus il y a de propriétaires dans un immeuble, plus il est long et laborieux de mettre en place un projet de réhabilitation à cause des divergences d'intérêts et des différents niveaux de solvabilité. A cet effet, la gouvernance locale chercherait à maintenir la mixité sociale du centre historique qu'un processus de «gentrification» risquerait inévitablement de compromettre. Le second obstacle au processus de requalification du centre historique tient à l'ampleur de la tâche à accomplir et, simultanément, la capacité d'investissement de la wilaya. Il faudrait de 25 à 30 ans pour la requalification complète du centre historique de Skikda. Il est difficile d'en chiffrer le montant. Aussi, à Skikda, la haute instance wilayale demeure l'acteur principal de cette politique de régénération urbaine tant comme incitateur et porteur de projets que comme source de financement. Néanmoins, préserver et conserver sont les maîtres mots de cette volonté de requalification pour laquelle l'ensemble du centre historique de Skikda constituerait de fait un «monument». La requalification du centre historique : une expérience collective L'idée de réappropriation du territoire constitue l'axe directeur du programme de requalification du centre-ville de Skikda. Elle se décline sous son volet classique de restauration du bâti, mais aussi sous la forme d'une réappropriation symbolique par la mise en scène du patrimoine. Pour les citoyens de Skikda, la renaissance du centre-ville passe autant par sa réhabilitation physique que par le changement du rapport que ses habitants entretiennent avec lui. Par ailleurs, la découverte du patrimoine et la transmission de sa mémoire doivent faire prendre conscience aux habitants qu'ils partagent un même territoire et qu'ils sont liés les uns aux autres par une histoire commune et, implicitement, par un devenir commun. Une ville n'est pas uniquement un ensemble d'édifices, de maisons, de places, d'écoles, de routes, c'est surtout un ensemble de relations humaines qui relient tous ceux qui vivent en ville, soit par choix soit par hasard. Ce rappel possède une résonance toute particulière dans le cas de Skikda dans la mesure, où la ville a précisément été pensée et construite comme une juxtaposition de constructions. Cette initiative politique nous rappelle que l'éducation est l'un des moyens privilégiés, sinon le seul, pour transformer la société. C'est en donnant des repères communs que l'on fait vivre le sentiment d'appartenance, notamment au moyen de «l'enseignement de l'histoire», qui organise la mémoire collective, et de la géographie, qui fournit un répertoire territorial commun. Cette politique de requalification urbaine s'inscrit dans une politique de marketing urbain. Skikda possède une image «disqualifiante». Dans l'imaginaire collectif, la ville est intimement associée à la décrépitude et à la violence. Elle est davantage connue comme une place de brigands portant le glaive, que comme une ville au riche patrimoine architectural et artistique, un haut lieu du tourisme culturel et estival en Méditerranée. A une époque où les perceptions et les représentations jouent un rôle déterminant dans le comportement des acteurs économiques, l'enjeu est de parvenir à modifier cette image. L'attractivité de la ville auprès des touristes et des investisseurs dépendra en effet de la capacité des pouvoirs publics à rendre attractif le territoire de Skikda. La gouvernance actuelle semble avoir compris la portée de cet enjeu, elle fait du changement d'image l'un des axes directeurs de sa politique urbaine. Enfin, la ville doit projeter une image de confiance et de respectabilité. Dans cette course à l'image aux effets mimétiques, seules les villes qui se démarqueront des autres auront une chance de capter les flux économiques. L'expérience montre que le volontarisme politique ne suffit pas. Il faut du temps. Cette stratégie de marketing urbain, permettra sans nul doute à Skikda de présenter une image renouvelée, l'image d'une ville combative et en pleine renaissance. Il est, de ce fait, indispensable de développer un discours qui mette en avant des qualités à la fois plus neutres et plus en phase avec les attentes des acteurs économiques que sont les touristes et les investisseurs (la spécificité du patrimoine artistique et architectural, la gastronomie, la qualité de vie…). La réussite d'une politique de marketing urbain dépend enfin du contexte dans lequel elle s'inscrit. Skikda n'est pas une entité isolée, elle appartient à un territoire (une région et un pays) dont l'image (positive ou négative) rejaillit sur elle.