L'annonce par l'Iran de son entrée dans le club très fermé des puissances nucléaires après avoir réussi avec succès à produire de l'uranium enrichi a fait l'effet d'une bombe auprès des différents partenaires de Téhéran engagés dans des négociations longues et difficiles avec ce pays sur son dossier nucléaire. Même si les responsables de l'organisation iranienne à l'énergie atomique ont pris la précaution de minimiser l'impact de l'avancée technologique annoncée et de rassurer la communauté internationale précisant que le niveau de l'uranium enrichi n'est pour l'heure que de 3,5%, il n'en demeure pas moins que l'objectif visé par l'Iran par cet effet d'annonce aura été atteint. Ce n'est pas tant le nombre de centrifugeuses (164) mobilisées pour produire l'uranium enrichi devant servir de combustible pour produire aussi bien de l'énergie nucléaire que la charge fissile d'une bombe atomique qui inquiète que la maîtrise par l'Iran du process nucléaire. « Le véritable problème n'est pas celui du nombre de centrifugeuses, mais du savoir-faire. » Car si l'Iran a bien accompli un « saut technologique » en maîtrisant le fonctionnement d'une cascade de petite taille, « rien ne l'empêche de passer à un enrichissement à grande échelle », a commenté un diplomate occidental en poste à Téhéran. L'annonce par l'Iran de l'accélération de son programme nucléaire est ressentie par les Occidentaux et les Américains ainsi que par les experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) comme un véritable défi. L'appel lancé par le Conseil de sécurité le 6 mars dernier à Téhéran demandant aux autorités iraniennes de geler leur programme d'enrichissement d'uranium en leur accordant un délai jusqu'au 28 avril courant pour s'exécuter n'aura pas été entendu. Les autorités iraniennes sont même allées plus loin dans la guerre des nerfs qui les oppose à leurs détracteurs en prenant le risque politique et diplomatique d'annoncer cette première nucléaire à la veille de la visite du directeur général de l'AIEA, M. El Baradei, qui est attendu aujourd'hui à Téhéran pour des pourparlers avec les dirigeants iraniens. Le débat change donc complètement de nature avec l'annonce officielle par Téhéran de la production d'uranium enrichi pouvant servir à des usages militaires. La question aujourd'hui n'est plus de savoir si l'Iran produit ou non dans ses centrifugeuses de l'uranium enrichi. Le doute qui a longtemps été entretenu sur ce sujet est à présent levé. Il reste à savoir pourquoi les autorités iraniennes ont pris le risque qui sera certainement lourd de conséquences pour le pays de reconnaître aujourd'hui de la manière la plus solennelle et avec une fierté saluée par l'ensemble des médias iraniens toutes tendances confondues ce qu'elles ont toujours dissimulé et nié auparavant. Désormais, les Iraniens entendent négocier avec leurs partenaires sur la base d'une nouvelle donne nucléaire en remettant au goût du jour la fameuse doctrine de l'équilibre de la terreur expérimentée durant la guerre froide. Le président Ahmadinejad, comme pour enfoncer un peu plus le clou, a donné l'ordre mardi « d'accélérer le travail pour produire du combustible pour les (futures) centrales nucléaires ». Pour le moment, les réactions des capitales étrangères engagées dans une partie du bras de fer avec l'Iran au sujet de son programme nucléaire sont partagées entre l'étonnement après cette douche froide qu'elles n'attendaient pas sous cette forme teintée de surenchère et la réprobation tout en continuant à croire à un sursaut de « sagesse » de la part des Iraniens avant la date butoir du 28 avril. « L'Iran va dans la mauvaise direction », a jugé Washington. Londres considère que l'annonce iranienne « n'est pas très utile ». Pour sa part, Moscou, qui a proposé ses bons offices à l'Iran en lui suggérant d'enrichir son uranium sur son sol, a appelé hier Téhéran à suspendre son programme nucléaire. De son côté, la France, engagée dans le dialogue avec Téhéran dans le cadre de la troïka européenne, a réagi par la voix de son ministre des Affaires étrangères, M. Douste-Blazy, qui a jugé « préoccupante » l'annonce de Téhéran. Il faudra attendre le rapport que fera au Conseil des gouverneurs de l'AIEA le directeur général de cette agence à l'issue de sa visite à Téhéran ce jeudi pour se faire une idée de la manière dont le dossier nucléaire va être géré avec ce nouveau coup de force de Téhéran qui entend imprimer à ses partenaires sa démarche et son rythme.